B U R E A U   O F   P U B L I C   S E C R E T S


 

Éloge de Kenneth Rexroth

(Extrait)

 

REXROTH (avant une lecture de ses poèmes): “Eh bien, mesdames et messieurs, que préféreriez-vous ce soir, érotisme, mysticisme ou révolution?”

UNE FEMME DANS L’ASSISTANCE: “Il y a vraiment une différence?”

 

Kenneth Rexroth est né dans l’Indiana en 1905, dans une famille d’antiesclavagistes, de socialistes, d’anarchistes, de féministes et de libres penseurs. À douze ans, il perd ses parents. Il passe à Chicago la plus grande partie de son adolescence, travaillant d’abord comme reporter, puis dans une boîte de jazz; il se mêle aux musiciens, aux artistes, aux écrivains, aux radicaux et aux excentriques du monde de la bohème des années vingt. Véritable autodidacte (il n’est allé à l’école que cinq ans), il lit énormément, et de tout, se met à la poésie, à la peinture abstraite, au théâtre d’avant-garde, et entreprend, tout seul, l’étude de plusieurs langues. À vingt ans, il a déjà parcouru tout le pays en auto-stop, travaillant l’été dans l’Ouest comme garçon d’écurie ou cuisinier pour des cow-boys, ou bien dans des fermes ou des camps de bûcherons. Un jour — il n’a pas encore vingt ans — il s’enrôle sur un cargo pour aller à Paris...

Ces aventures précoces, il les raconte dans An Autobiographical Novel, où il semble, à première vue, qu’il parle surtout des autres: Louis Armstrong, Alexandre Berkman, Clarence Darrow, Eugène Debs, Marcel Duchamp, Emma Goldman, D.H. Lawrence, Diego Rivera, Carl Sandburg, Edward Sapir, Sacco et Vanzetti font tous une apparition fugitive, mais aussi une Indienne qui l’initie au yoga érotique, un type du milieu qui prendra plus tard sa retraite à Hollywood comme conseiller pour les films de gangsters, un poète volubile disant avoir appartenu aux “trois organisations les plus cancanières de la vie moderne: les anglo-catholiques, les trotskistes et les homosexuels”, sans parler des innombrables anarchistes, communistes, wobblies, dadaïstes, surréalistes, occultistes, prostituées, escrocs, flics, juges, geôliers, vagabonds, paysans montagnards, bûcherons, cow-boys, Indiens... C’est un livre fascinant, non seulement par l’incroyable diversité des expériences de Rexroth, mais aussi par son évocation d’une culture souterraine américaine libertaire évanouie tôt dans le siècle, et pour les aperçus qu’il donne de cette bohème des années vingt, qui anticipait la contre-culture mondiale. “C’est dans ces quelques endroits, à Chicago, à New York et à Paris, que j’ai assisté au développement d’un mode de vie destiné à se répandre partout dans le monde. Une génération plus tard, tous ceux qui affichaient quelque prétention à la bohème, fussent-ils de Sydney ou d’Oslo, allaient faire comme nous; mais nous, en ce temps-là, nous nous connaissions tous.”

An Autobiographical Novel s’achève sur l’année 1927, année où Rexroth s’installe à San Francisco. (Il disait qu’il aimait cette ville parce qu’elle était aussi proche des montagnes de l’Ouest qu’éloignée de la domination culturelle de New York; et aussi parce qu’elle était pratiquement la seule grande ville américaine qui n’ait pas été fondée par des puritains, mais plutôt par “des joueurs, des prostituées, des vauriens et des aventuriers”.) Dans les années trente et quarante il joue un rôle actif dans toutes sortes de groupes libertaires, antiracistes et pacifistes. Objecteur de conscience pendant la Seconde Guerre mondiale, il est le principal meneur de l’effervescence littéraire et culturelle qui aboutira à la “Renaissance de San Francisco” de l’après-guerre. Dans les années cinquante et soixante il écrit des poèmes, des pièces de théâtre et des essais — de critique sociale entre autres —, traduit de la poésie de sept langues, fait des lectures et des comptes-rendus de livres à la radio KPFA, et inaugure la lecture de poèmes accompagnée de jazz.

En 1968 il déménage à Santa Barbara, dans le sud de la Californie, où il donne des cours sur la poésie et la chanson underground et où, mis à part quelques longs séjours au Japon, il vivra jusqu’à sa mort, en 1982. [...]

 


Première section de Éloge de Kenneth Rexroth, reproduite dans Secrets Publics: Escarmouches choisies de Ken Knabb (Éditions Sulliver).

 

  


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