B U R E A U   O F   P U B L I C   S E C R E T S


 

Le San Francisco de Kenneth Rexroth

(1961-1964)

 

Les Black Muslims
Hemingway
Le parc du Golden Gate
Sciences et pseudo-sciences
San Francisco, ville méditerranéenne
Électre, film de Michel Cacoyannis
La cabane Rexroth
Victor Serge: Mémoires d’un révolutionnaire
Ralph Stackpole et les fresques de la tour Coit
La Grèce antique à la rencontre de l’Inde
Émerveillement et méditation dans les montagnes
Du mysticisme, éthique et pharmaceutique
Tartufferie wagnerienne

 


 

Les Black Muslims


Certaines personnes peuvent se demander pourquoi j’accorde autant d’importance à discuter des problèmes des nations émergentes des anciens empires coloniaux ou aux questions concernant les noirs américains. C’est tout simple. Ce sont les informations les plus importantes actuellement.

Personne ne peut accuser le New York Times d’être sensationnaliste ou même partial dans sa ligne éditoriale. Le numéro du dimanche 12 mars consacre environ 60 pour cent des informations à l’Afrique, l’Asie du Sud-Est et aux noirs américains. La section magazine entière n’est consacrée à rien d’autre.

Le texte le plus remarquable est peut-être le long article de James Baldwin, où il déclare au sujet des émeutes à l’U.N.O. qu’il avait prévu d’être là mais qu’il s’est embrouillé dans les dates [il y avait une erreur dans son agenda]. Dans les derniers mois, à travers des articles dans Harper’s et autres revues, James Baldwin a émergé soudain comme le porte parole le plus militant et certainement le plus pertinent de sa race.

Pourtant je connais beaucoup de noirs cultivés des professions libérales qui ont toujours considéré James Baldwin comme plutôt snob — un mélange de Ivy League, de Booker T. Washington, si ce n’est d’oncle Tom. Il ne l’a jamais été mais son succès comme écrivain et sa reconnaissance par le milieu blanc, sa courtoisie et son aspect soigné, les ont rendus méfiants.

Il est grandement significatif qu’un noir tellement assimilé et équilibré devrait critiquer Martin Luther King, le nouveau leader militant, pour sinon s’être compromis mais du moins courir le risque de se trouver pris au piège de la compromission contre sa volonté.

Les gens qui interviennent aujourd’hui ne sont pas des parias. Ce sont des gens comme Harry Belafonte, John Lewis, James Baldwin, pour qui l’Amérique blanche considère avoir fait preuve de générosité. Ce sont précisément des gens qui peuvent séjourner dans un hôtel de première classe (sauf dans le Sud Profond), qui peuvent manger dans les meilleurs restaurants, qui peuvent se marier avec quelqu’un d’une autre race si ils le souhaitent, sans faire trop d’histoires, qui disent aujourd’hui, “Si il survient une épreuve de force, je suis davantage du côté des ‘extrémistes’ que de l’autre. Je suis avec Elijah Muhammad plus que je ne suis contre lui.” Moi aussi.

Les américains blancs n’ont tout simplement aucune conception du degré d’hostilité qu’ont engendré au cours des siècles leurs mauvais traitements chez les afro-américains, et pas seulement chez les incultes et les “inadaptés.”

Le temps ne fait pas que manquer. Il est terminé. Gardez à l’esprit que même Malcolm X, le porte-parole de la “Nation de l’Islam” de Elijah Muhammad, est né dans le Nebraska, où le racisme est à peu près aussi faible que n’importe où ailleurs aux États-Unis.

Il est stupide de considérer le ”chauvinisme noir”, comme les communistes d’il y a longtemps avaient coutume de dire, comme l’expression des “inadaptés”. Quel afro-américain n’est pas inadapté aux Etats-Unis?

L’américain blanc le plus équilibré, si il devenait soudainement noir et si il était soumis aux handicaps de l’afro-américain le plus assimilé, ferait une dépression nerveuse en un rien de temps.

Rien ne montre plus la force et l’intelligence de la race noire que le fait que, de Lena Horne au type qui m’apporte mon courrier, tous pour la plupart, surmontent tous les formidables handicaps et apportent une précieuse contribution à la société — la société blanche.

Il existe actuellement une douzaine de groupes “extrémistes” environ à New York avec des programmes prônant le nationalisme africain et/ou le “chauvinisme noir”. Ils font une assez forte impression, en prêchant dans les rues le samedi et le dimanche soir, mais la plupart de ces groupes ne comptent qu’une poignée de membres, de 25 ou 50 au minimum, et deux centaines au  maximum.

Le groupe qui a captivé l’imagination publique et qui, à l’heure actuelle, recrute certainement le plus de membres est la “Nation de l’Islam” de Elijah Muhammad, les dénommés Black Muslims. Leurs journaux parlent d’environ “250 000 Black Muslims en Amérique”, mais des observateurs sympathisants estiment leur nombre autour de 50 000. Le mouvement s’étend rapidement. Les casquettes en peau d’agneau et les chemises bordeaux sont de plus en plus courantes sur Fillmore Street au cours des semaines.

Il est important avant tout de comprendre qu’il ne s’agit pas de musulmans orthodoxes. Il existe une petite mission islamique dans Harlem, avec des membres disséminés dans le pays. Ils répudient la Nation de l’Islam en termes non équivoques.

Il existe sans aucun doute quelques communistes infiltrés dans la nation de l’Islam, pêchant avec circonspection en eaux troubles. L’organisation en elle-même est résolument anti-communiste. Sa propagande reprend l’opinion dominante chez les afro-américains selon laquelle le Parti Communiste utilise puis trahit le noir américain.

Les Black Muslims représentent-ils une menace? Vont-ils fourvoyer les afro-américains, avec une violence gratuite et gaspiller leur énergie dans une lutte pour des revendications irréalisables?

J’en doute. Je ne pense pas qu’il y aura un jour un état noir indépendant dans le Sud. Bien que, pour tout vous dire, ils peuvent avoir le Mississippi, en ce qui me concerne.

L’organisation a officiellement renoncé à la violence dans les tribunes des Nations Unies. Elle interdit à ses membres de boire, de fumer, et de vivre de manière “immorale”. En fait, comme les musulmans orthodoxes, ils sont plutôt puritains selon les critères de Fort Dodge, sans parler de Harlem.

Je suis plutôt anti-puritain, mais je connais Harlem. Il vaut mieux que l’hostilité accumulée dans ce trou de l’enfer se manifeste sous forme de chemises bordeaux, de robes modestes et d’abstinence, plutôt qu’à travers l’héroïne dans les lycées et les bagarres aux couteaux.

Le mouvement, comme une maladie bénigne, est circoncise. L’échec de Marcus Garvey, il y a une génération de cela, a démontré que les noirs américains ne veulent pas devenir des africains, encore moins des musulmans. Ils veulent devenir américains. Ils sont venus ici en même temps que les Stuyvesant, les Fairfax et les Cabot, et ils veulent seulement le même statut qu’eux.

[26 mars 1961]

 


 

Hemingway


Avant de lire la notice que vient de lui consacrer Joseph Alsop, j’avais l’intention de réserver une partie de ma chronique à ce qu’il est convenu d’appeler un hommage neutre de cet écrivain dont la portée n’est pas discutable. Désolé, il va me falloir dire carrément ma pensée. Je trouve répugnant l’éloge qui est fait des défauts criants de Hemingway.

L’image d’une bande de journalistes sur le retour et de bohèmes de tous pays assistant extasiés à un combat de coqs en poussant des hourras est... Quoi au juste? Chacun trouvera le mot qui convient. Rien, en tous cas, qui exprime un profond appétit de vie.

Je n’ai pas beaucoup d’estime pour les gens qui prennent plaisir à tuer; mais j’accepte de cohabiter avec des chasseurs pourvu qu’ils n’imposent leurs moeurs ni en privé ni en public. (Parlant des marins de Kronsradt, Trotski télégraphia un jour à Zinoviev l’ordre de les “tirer comme des perdrix”. Bertrand Russell commenta: “On ne devrait jamais permettre à un chasseur de conduire une révolution”.)

Je hais ceux qui font de la mort un spectacle sportif. Je suis sérieusement d’avis que tous les Américains qui assistent à des courses de taureaux devraient être enfermés à leur retour d’Espagne.

Comment peut-on affirmer que Hemingway aimait la vie? C’est la mort qui le fascinait — on ne peut employer ici le verbe aimer, qui a une connotation positive —, comme il ne s’est jamais lassé de le dire. La mort fascinait Hemingway au même titre que les serpents sont censés fasciner les oiseaux, d’un charme vide mais irrésistible. La vie qui s’empare des personnages de ses romans ne relève pas de l’expérience mais de la sensation. Hemingway est le maître de la nature morte brillante — une nature qui ressemblerait à une image stéréoscopique, infiniment plus nette que la réalité. Beaucoup plus nette, mais nullement chargée de plus de sens. Ses héros, eux aussi, sont des créatures aux contours parfaitement découpés, plus définis que ceux des hommes réels, qui s’estompent dans de multiples sortes d’obscurités.

Il en va de même pour son style qui, autrefois, paraissait tellement réaliste — je reprends Hommes sans femmes, en croyant lire des vers libres, la langue cérémonielle d’une religion sans déité, ni foi, espoir ou charité.

Comparons un instant le roman de Hemingway sur la guerre d’Espagne à celui de Malraux. Je pense que Malraux est la plupart du temps malhonnête et tapageur lorsqu’il se met à philosopher ou à moraliser. Mais au moins la malhonnêteté apparaît. On ne trouve aucun intention ni évaluation morales dans le roman de Hemingway. Sa guerre d’Espagne n’est pas une tragédie. C’est un fiasco compliqué à l’extrême, comme une corrida qui se tiendrait avec des filles qui ne savent pas où dormir et des hommes qui n’ont rien d’autre à faire que de mourir.

Je ne me suis pas assis à ma table avec l’intention d’attaquer Hemingway. Bien au contraire. C’était un grand écrivain. Ses attitudes envers la vie sont devenues le code des croyants en l’incroyance. Elles remplacent la religion au sein de l’intelligentsia technique et professionnelle du monde entier, une classe beaucoup plus profondément aliénée que la classe ouvrière de Marx. Son style vide, haché, inquiétant est imité par les détectives de la télévision et les philosophes français. Les courses de taureaux sont maintenant autorisées au pays de Montaigne.

Il y a longtemps, au moment de la parution de ses premiers livres, un critique — était-ce Wyndham Lewis? — déclara qu’on reconnaissait la vaste culture et l’intelligence de Hemingway à ceci que ses personnages ne s’exprimaient jamais en bon anglais et ne proféraient que des stupidités. Dès l’origine, Hemingway incarna le rejet de ce qu’on appelle la tradition humaniste. Il était afficionado parce que Shaw était végétarien et Romain Rolland pacifiste.

... Certains ont dit que la seule valeur que Hemingway air trouvé à opposer à un monde vide et hostile, fut le courage. Or le courage implique que l’on entretienne des relations plutôt complexes avec autrui, dans sa réalité. La réponse de Hemingway ne consista pas en un acte d’évaluation morale. En une réaction plutôt. Une sorte d’attitude solitaire de pur défi.

Elle prit fréquemment dans sa vie personnelle l’apparence d’une truculence puérile. La truculence, dit-on, provient d’un sentiment d’insécurité. L’univers de Hemingway était terriblement vide. Il ne comportait aucune niche, aucun abri confortable.

Ce qui est révélateur, c’est que l’univers de nombreuses personnes ressemble au sien, particulièrement dans nos pays sur-civilisés. L’irrationalité, l’angoisse cachée, l’insécurité permanente, l’attitude de défi, toutes ces qualités, tous ces défauts jadis individuels, sont devenus les marques d’une civilisation entière.

Que Hemingway les concentre en lui aussi sûrement, donne la mesure de son envergure artistique. Mieux que quiconque, il a donné forme à un nouvel archétype, à un type nouveau d’homme moderne. Cet homme est assurément un personnage tragique, mais la tragédie dont il est l’acteur n’a rien de littéraire. C’est celle de la société elle-même.

(9 juillet 1961)

 


 

Le parc du Golden Gate


Dimanche dernier, j’ai emmené les filles se promener à bicyclette dans le parc du Golden Gate. Le climat de San Francisco n’a qu’un vague rapport avec le calendrier. C’était une vraie journée d’été. Le monde entier était dehors. Les cerisiers étaient en fleurs; tout n’était qu’éclat et renouveau.

Le parc du Golden Gate ne cesse de m’émerveiller. Il n’a pas de rival dans l’hémisphère nord. Les jardins de Kew, le bois de Boulogne, le Pincio, tous paraissent petits, pelés, malingres par comparaison. Les grands parcs de Chicago sont certes vastes, mais ils sont pauvrement dessinés.

Les masses d’ombre et de lumière; les formes élancées ou rondes des arbres; le jeu de l’herbe, des feuillages et de l’eau; les perspectives profondes et la précision de certains détails — aucun jardin, à ma connaissance, ne les égale.

Quand j’étais jeune, traversant le parc à vélo, je rencontrais souvent John McLaren, un peu plus rondelet que la statue qui le représente, surveillant l’élagage d’une grosse branche ou la plantation d’un bouquet d’arbustes. Quel art extraordinaire était le sien! Une musique qui s’égrène dans un présent éternel. Ou un poème, un tableau dont, une fois terminé, chacun peut jouir, à commencer par son créateur.

McLaren avait calculé en dessinant son jardin que celui-ci n’atteindrait sa pleine beauté qu’une génération après sa mort.

Je me demande souvent si je ne suis pas injuste, mais il me semble que la noblesse des conceptions de McLaren est en train de se perdre. Petit à petit, l’esprit fonctionnaire et le besoin de résultats immédiats rongent l’intégrité de ce qui demeure — nous en prenons rarement conscience — l’une des plus grandes oeuvres d’art au monde.

Si des ingénieurs des Ponts et Chaussées proposaient un jour de tracer un étroit ruban de bitume au milieu du chef-d’oeuvre où Rembrandt a représenté son frère, ils déclencheraient un tonnerre de protestations. On les traiterait de déments et les empêcherait de nuire.

Rien n’est plus absurde à mes yeux que de sacrifier un jardin, entre tout endroit, aux exigences de l’automobile. Une bonne majorité de gens s’accorderaient probablement à dire que nous avons déjà laissé détruire de trop nombreux jardins et qu’il est temps d’arrêter ce massacre.

Comment se fait-il d’ailleurs qu’on autorise la circulation des voitures dans le parc? Dimanche dernier, le trafic était si dense qu’il gênait toutes les activités pour lesquelles cet endroit a été construit.

Il est devenu si compliqué et si cher de se promener à cheval qu’il vaut mieux n’en plus parler; d’autant que les jeunes, aussi bons cavaliers soient-ils, n’ont plus le droit de monter qu’accompagnés, ce qui leur ôte tout leur plaisir. La bicyclette est interdite dans les allées et, par ce beau temps, elle devient dangereuse sur les routes. Les restaurants, eux, ont disparu depuis belle lurette.

Il se peut que je souffre de nostalgite aiguë. Mais je ne suis pas fâché de savoir que je ne serai jamais assez vieux pour voir les enfants, cloîtrés dans des espaces chiches au bas de tours de 200 étages et connaissant les délices de la marche à cloche-pied, interrompre leurs jeux au grand air pour me demander: “Dis, papy, c’était comment avant l’explosion démographique?”

(11 avril 1962)

 


 

Sciences et pseudo-sciences


Je suis en route vers Aspen, dans le Colorado, pour prendre part à un colloque intitulé: “Le public et sa compréhension du rôle social de la science”...

Bien que la majeure partie de la population ait été scolarisée de longues années, le vocabulaire des sciences et leurs méthodes continuent de susciter dans ses rangs autant de terreur et d’incompréhension que les danses et les formules rituelles des sorciers. Quant au but de la science, il est toujours perçu comme relevant de la magie, comme l’emprise du mystère sur notre destin.

Je me souviens de cette vieille image qui représentait, lorsque j’étais enfant, un homme vêtu d’une blouse blanche soumettant une célèbre marque de haricots en boîte à un examen de laboratoire rigoureux; un de ses collègues, également de blanc vêtu, et dont le visage était illuminé par la même lueur de génie que celui de Watts devant sa bouilloire, consignait ses observations sur un carnet.

Ces savants exercent encore aujourd’hui, mais comme les conserves de haricots semblent se vendre toutes seules, ils se sont recyclés dans les déodorants, les filtres à cigarettes et le rouge à lèvres. Pour le reste, le public a vaguement entendu parlé d’une poignée de chercheurs fous qui, enfermés dans un abri anticyclonique des montagnes du Nouveau Mexique, inventèrent il y a quelque temps un joujou qui détruisit deux ou trois villes du Japon et menace de faire sauter la planète entière. Au-delà de ce niveau de connaissances scientifiques, règne une confusion aussi sombre que vaste et effrayante.

On croit peut-être que je plaisante? Un des candidats les plus cultivés à l’élection au poste de gouverneur de Californie était un chaud partisan d’Abram, l’inventeur d’une soi-disant machine électronique capable de diagnostiquer n’importe quelle maladie. Un autre écrivain, le plus tranchant des critiques sociaux de ma génération et, qui plus est, excellent poète, auteur de nouvelles et de pièces de théâtre, continue de croire dur comme fer à la thérapie de l’orgone naguère mise au point par Wilhelm Reich.

Des producteurs de cinéma, des gros actionnaires, des industriels, sans omettre le sage de Big Sur, organisent leur vie quotidienne en fonction de leur thème astral.

Le premier boy-scout venu, détenteur de sa médaille du Mérite scientifique, pourrait prendre en flagrant délit d’ignorance des faits scientifiques de base ces gens instruits, dont certains mêmes sont des intellectuels.

Tel est le public, au sens courant de ce mot. Bien pire que son ignorance des détails, est sa mécompréhension de la nature même de la science. La plupart des gens, y compris dans les pays civilisés, vivent encore à un âge pré-scientifique.

La machine d’Abram; la boîte à orgone de Reich; l’astrologie; les remèdes doux contre le cancer; les jeûnes miraculeux; la fausse médecine; la dianétique; la cybernétique; la pseudo-psychiatrie et, pendant que nous y sommes, l’Atlantide, on assiste dans chacun de ces cas à une manipulation du réel à partir d’hypothèses insoutenables, dans l’unique intention de soulager les gens de leur sentiment d’insécurité. Les aborigènes d’Australie n’agissent pas autrement lorsqu’ils se transpercent le corps, remplissent les entailles de plumes d’émeu et pointent leurs bâtons en direction des villages ennemis.

C’est pourquoi aussi le public applaudit des deux mains aux projets dispendieux et spectaculaires que sont les voyages spatiaux, tout en manifestant son indifférence aux procédés révolutionnaires et peu coûteux du dessalage de l’eau de mer.

Les grigris spatiaux rassurent dans la mesure même où ils coûtent cher et sont spectaculaires. Rien de tel dans un verre d’eau, mais un astronaute qui tourne autour de la terre apporte une protection qui n’est guère plus efficace qu’un sachet d’herbes magiques autour du cou. L’Amérique fut bouleversée le jour où elle apprit que les Russes avaient réussi à envoyer ensemble dans l’espace un spoutnik et un chien. Nos magiciens avaient été dépassés. Nos chamans, à qui nous avions consacré tant d’argent, nous avaient laissé tomber.

Je me demande si les centaines de chercheurs qui, ces dernières années, ont participé au genre de colloque auquel je me rends aujourd’hui, ont conscience de marcher sur une couche de glace extrêmement fine. Il est vrai qu’il faut améliorer l’enseignement des sciences à l’école; qu’il faut combler le fossé qui sépare les deux cultures, pour reprendre l’expression de Sir Charles Snow, entre scientifiques et humanistes. Il est vrai que nous devons protéger la science des appétits des industriels et des militaires; chérir et nourrir le public cultivé; consacrer davantage de ressources à la recherche et moins au “développement”, c’est-à-dire à une technologie clinquante. Il est vrai que nous devons extirper de la mythologie populaire l’image comique et/ou subversive du savant et de l’intellectuel. Tout cela est parfaitement juste.

Mais toutes ces questions concernent encore l’élite, je veux dire les chercheurs eux-mêmes et le public informé. Ces deux groupes dépendent en dernière analyse de la grande masse des gens. Tant que celle-ci vivra intellectuellement à l’âge de pierre en matière de science, les chercheurs et le public éclairé se sentiront aussi mal à l’aise que des poissons de mer qu’on a forcé à s’adapter à l’eau douce.

(10 juin 1962)

 


 

San Francisco, ville méditerranéenne


... Les frères Fromm organisent chaque été dans les vignes de Paul Masson au-dessus de Sararoga, des concerts de musique de chambre. Le programme de dimanche dernier était entièrement consacré à Schubert — Quintet la Truite et Octet en fa majeur —, l’une des musiques les plus charmantes dans son genre. Elle fut jouée sur un rythme fluide qui s’harmonisait avec le lieu. Mais c’est le lieu lui-même, comme toujours, qui était la vedette du spectacle.

Il m’a rappelé un endroit où j’ai habité il y a quelques années avec mes filles, un couvent accroché aux collines de Berico, surplombant la plaine de Vento, au-dessus de Vicence. Jamais je ne m’étais senti plus près du paradis sur terre. J’avoue cependant que la maison de Paul Masson dans les vignes arrive au second rang, pas loin derrière. Certes, Palo Alto n’est point Padoue, mais elle en a les tours. Sunnyvale n’est pas Venise, mais le dôme de son vieux hangar en forme de dirigeable est tout scintillant dans la brume du plein été.

Ce qui compte, marques essentielles de la civilisation, ce sont les vignes, les oliviers, les figuiers qui descendent en terrasse dominant les métropoles agitées. Si les oiseaux ne sont pas des rossignols, leur chant éperdu est le même, tandis que les notes du violon montent et descendent dans les grenadiers. Et la maison, modeste, bien que fort ancienne pour la Californie, ressemble à s’y méprendre à quelque église romane juchée, avec son village italien, sur une hauteur à l’écart du tourisme.

Ce qui compte n’est pas que ce lieu ressemble à l’Italie, c’est qu’il ressemble au nord de la Californie. Il nous appartient, à nous qui sommes le dernier bastion de la vie méditerranéenne, de cette culture du vin et de l’olive qui entoure la mer sans marées, seule civilisation que l’homme occidental fût jamais capable de forger.

Barcelone est une ville hantée. Les Provençaux affirment que “Marseille est devenue Chicago” — ce qui est un peu exagéré. Gènes et Naples sont des labyrinthes d’une pauvreté à glacer le sang. Athènes, avec toute sa joie de vivre, n’est plus qu’une ville de province. La lumière qui jadis brilla sur la Jérusalem de Salomon, l’Athènes de Périclès et la Rome de Marc Aurèle brille sur nous désormais, dans l’autre moitié du monde.

(1er juillet 1962)

 


 

Électre, film de Michel Cacoyannis


Les films sont devenus tellement sensationnels et racoleurs ces dernières années, que je n’arrive pas à les juger. Ils semblent surtout faits de nitroglycérine et d’amphétamines. Et faits avec suffisamment d’habileté pour vous arracher jusqu’à la dernière parcelle de réaction émotive. Je préfère rester chez moi.

Je trouve que le film étranger typique, plein de sadisme, de pornographie et porteur d’une fausse critique sociale, corrompt, au sens littéral du mot, ma sensibilité. Je perds toute faculté de jugement. Et puisque je suis payé pour juger, je ne peux me permettre de gâcher ma sensibilité dans des divertissements dignes des jeux du cirque.

De là vient ma prudence. Pourtant, cette fois, je ne crois pas m’être laissé prendre. Je pense sincèrement que Cacoyannis vient de réaliser un des meilleurs films de l’histoire du septième art. Électre supporte la comparaison avec les classiques de l’âge héroïque du cinéma. On y sent manifestement l’influence de certains d’entre eux, comme La Passion de Jeanne d’Arc de Dreyer ou les oeuvres de Pudovkin, d’Ilya Trauberg et de Dovshenko. J’aimerais revoir Jeanne d’Arc pour vérifier si Électre est un film aussi bon, meilleur ou moins bon. Disons qu’il en approche de près la qualité.

“La haine tue”, disait Euripide et toutes ses pièces sur la lignée d’Agamemnon démontrent que la haine tue d’abord le haineux. Son Électre et son Oreste sont les premiers délinquants juvéniles, véritables sociopathes de la littérature.

C’est Irène Pappas qui incarne Électre au cinéma. Prisonnière d’un acte de vengeance héroïque, le personnage est d’une agressivité mesquine. Elle ne pense qu’aux vêtements, aux bijoux et aux bains dont elle a été privée. Elle est cependant terrible, l’archétype de toutes les filles qui comparaissent devant les juges pour leur incorrigible hostilité envers la société, en répondant: “Ma mère est une putain”.

Il n’est pas de meilleure preuve du savoir-faire de Cacoyannis que son adaptation condensée des grandes odes d’Euripide en quelques vers récités par un choeur magnifiquement dirigé, qui se meut en dansant et récite la poésie comme jamais peut-être je ne l’avais entendu réciter. De plus, chaque plan où apparaît le choeur est mis en scène avec un art consommé, une composition spatiale en noir et blanc qui se développe et coule avec une efficacité totale. L’effet d’ensemble est presque insoutenable.

Les spectateurs étaient assis sur le bord des fauteuils, envoûtés et pleurant parfois. J’ai rarement vu une salle émue à ce point. Jamais, en tous cas, pour un film qui est le contraire du mélange de sexe, de sadisme et de sensations convenues qui a actuellement les faveurs du cinéma intellectuel.

(6 mars 1963)

 


 

La cabane Rexroth


J’ai commencé à randonner sur les longues crêtes et dans les vallées profondes et boisées du nord-ouest de Marin County il y a quelque trente-cinq ans. À moins d’une heure de voiture, la contrée, dont l’habitat est remarquablement espacé aujourd’hui encore, avec ses rares exploitations laitières, a peu souffert de l’action des hommes. J’ai écrit plusieurs de mes livres dans une cabane, à Devil’s Gulch, enterrée dans une forêt épaisse, sur le versant ouest du mont Barnabe, près d’une étroite cascade.

La semaine dernière, m’arrêtant au bureau d’accueil du parc national Samuel Taylor afin d’obtenir l’autorisation de camper à Devil’s Gulch, qui est désormais propriété du parc, quelle ne fut pas ma surprise de lire sur la carte ces inscriptions: “Cascade aux marches”, “Cabane Rexroth”. Eh bien, me dis-je, me voilà associé à John Muir*. Et, pour plus de surprise, le Sierra Club avait prévu d’organiser la semaine d’après une randonnée sur les lieux, fléchée à l’aide de pancartes démontables.

Je me suis dirigé vers la cascade, tandis que mes petites filles installaient la tente. La cabane était depuis longtemps tombée en ruine, mais rien d’autre n’avait changé. Tout était resté pareil à ce soir d’automne pluvieux de 1928 où j’avais découvert ce cul-de-sac dissimulé dans la forêt escarpée. La petite cabane mesurait moins de trois mètres carrés, à peine plus grande que son âtre fait de grosses pierres empilées. La porte était ouverte; il y avait des casseroles et des poëles; une lampe à huile; de vieux édredons suspendus hors de portée des souris et des rats ainsi que, bricolé au-dessus du ruisseau, un système de douche archaïque. Dans le crépuscule d’automne tranquille, la cabane, la clairière et la cascade, recouvertes de feuilles d’érables jaunes, avaient un air légèrement menaçant, comme dans un conte de fées.

En 1928, j’avais passé la nuit sur place et, en quelques mois, je vins à connaître la plupart des randonneurs qui utilisaient la cabane. Personne ne savait qui l’avait construite. Dans le ravin suivant, une seconde construction, un tant soit peu mieux conçue, avait été bâtie par l’un des groupes qui fréquentaient le premier endroit. Elle était considérablement plus vaste et établie directement à la confluence de deux chutes d’eau, à l’image du lieu de retraite d’un saint bouddhiste japonais. La cabane, à l’état de ruine chancelante, existe toujours.

Les promeneurs qui utilisaient ces refuges finirent par se lasser ou par changer d’activité, si bien que je restai le seul locataire des lieux. À deux reprises durant la guerre, je demeurai tout l’été dans la grande cabane. Par la suite, si j’avais un travail littéraire un peu délicat à accomplir, j’allais m’isoler jusqu’à ce que je l’aie terminé. Un jour, ma résidence devint parc national et j’en fus expulsé.

La semaine dernière, assis dans une petite tache de soleil au pied de la cascade, j’eus l’impression que je venais de découvrir l’endroit quelques minutes plus tôt. Il n’y avait pas de miroir pour refléter mes cheveux gris et mes rides; je portais la même paire de jeans, la même chemise rouge et mes bottes à hautes tiges. Je revoyais les années passées; le temps semblait s’être écoulé imperceptiblement. Les morts, mes mariages, mes deux enfants, mes quinze livres, mes voyages autour de la terre — l’érable et le sapin près de la cascade ont-ils grandi ou dépéri? Les fougères ont-elles poussé plus nombreuses?

En contrebas, le long du ruisseau principal, tout a changé. Pendant la guerre, la chaîne fut soumise à un pâturage intensif. En deux ans, le ruissellement des eaux avait mis à nu les racines des grands arbres; les rives herbeuses se transformèrent en plages de galets; le chardon et la cigué gagnèrent partout du terrain. Les dégâts dus à l’érosion sont plus rapides et spectaculaires que toutes les réparations que l’on peut faire. Les responsables du parc ont beau y apporter tous leurs soins, je ne vivrai pas assez longtemps pour revoir Devil’s Gulch dans son état d’autrefois.

Je me suis assis près de la cascade en regardant les feuilles de laurier dorées descendre en vrille dans la mare. Une colombe a gémi doucement dans le bois; des faucons à la queue tachée de rouge crièrent en jouant dans le ciel; une biche et ses deux faons traversèrent la clairière sans s’aviser de ma présence.

Toutes ces années ont-elles eu lieu? Ou bien m’étais-je assoupi dans la chaleur du soleil et le bruit de la chute d’eau? Et la Dépression, la guerre, les livres, les tableaux, les femmes, les réalisations et les tourments d’une existence ne furent qu’un rêve. Je jetai un coup d’oeil derrière moi, la cabane, nul doute, avait disparu de ma vue. Mais en regardant la falaise humide d’un vert noirâtre et l’eau qui ruisselait, je fus absorbé par leur intemporalité.

Enfin le soleil disparut et je frissonnai de froid. Je me levai et descendis le sentier abrupt pour rejoindre en bas mes filles affairées autour du camp. Je me sentais un peu raide — j’avais dû rester trop longtemps assis près de la cascade.

(30 juin 1963)

[*Naturaliste et alpiniste (1838-1914), auteur de récits de voyage, il est à l’origine de la création des parcs nationaux. De nombreux sites portent son nom. Il fonda le Sierra Club, qui milite pour la protection de la nature de nos jours encore.]


 

Victor Serge: Mémoires d’un révolutionnaire


Je finis de lire le livre de Victor Serge reçu en service de presse. Une histoire à vous glacer les moelles. Jeune anarchiste, Victor Serge fut d’abord incarcéré dans une prison française. Il en fut relâché au cours d’un “échange” d’otages avec les bolcheviks et devint l’un des fondateurs du Comintern. Il rejoignit les rangs de l’opposition quelques années avant Trotski et fut envoyé en Sibérie. Par un hasard extraordinaire, il put s’échapper de Russie avant la purge qui allait décimer la génération révolutionnaire.

En Espagne, il assista aux mêmes purges des loyalistes par les bolcheviks. Il s’enfuit à Marseille, après la défaite de la France — j’eus alors une brève correspondance avec lui —, pour finalement gagner le Mexique, où il mourut quelques années plus tard.

Quelle aventure! En premier lieu, Serge est de loin le meilleur écrivain ayant occupé un poste aussi élevé dans l’appareil bolchevik. Lounatcherski, qui fut un temps commissaire à la culture, admiré de tous, n’était qu’un amateur et un dilettante à côté de lui. Serge avait publié plusieurs romans émouvants et était une personne très humaine et très sensible. C’est pourquoi ses mémoires sont mieux écrits que les autres livres qui pourraient lui être comparés.

Trotski était rigide, rancunier, vaniteux et il resta un bolchevik incorrigible jusqu’à sa fin tragique. Alexandre Berkman, dans Le Mythe bolchevik et Anton Ciliga dans Dix ans au pays du mensonge déconcertant, sont les deux seuls auteurs qui aient dénoncé le naufrage moral du bolchevisme sans se compromettre en retour à un degré quelconque. Mais ni l’un ni l’autre n’étaient de très bons écrivains: ils étaient des révolutionnaires libertaires professionnels. Victor Serge était les deux à la fois.

Sur son livre souffle, de bout en bout, un vent de mort. Il ressemble à un catalogue de noms célèbres: Staline jette inlassablement ses victimes au fond de cellules insonorisées, et Serge en dresse la liste, encore et encore. Des généraux, des poètes, des assassins de métier, des espions — agents doubles ou triples —, des hommes de science, des érudits, des artistes, des jolies femmes et des intellectuels barbus: nous connaissons tous l’histoire. Serge, lui, a connu personnellement ces gens. Il les voit vivre, non pas avec la malice épigrammatique de Trotski, mais avec pitié et compréhension. Puis, il les voit mourir, et Serge éprouve chaque mort en lui-même. Quelque chose meurt au fond de lui avec chaque victime. Ce n’est pas l’auteur d’un tel livre qui aurait donné l’ordre de “les tirer comme des perdrix”, pour parler comme Trotski.

Avec le long effondrement moral de la révolution russe, quelque chose est mort pour une génération entière. Ce n’est pas seulement que l’époque de l’espérance révolutionnaire connut une fin lamentable. Après les procès de Moscou, la conscience de l’humanité se trouva mutilée. Elle ne s’est jamais complètement rétablie depuis.

Quand j’étais enfant, je croyais, et mon père croyait, et son pere avant lui avait cru que la vie allait être différente et meilleure, partout, pour tous, tout de suite; et nous croyions que ce monde serait relativement facile à construire. Il n’y avait pas que des gauchistes pour croire cela. Le banquier J.P. Morgan le croyait autant que le Pape et l’empereur François-Joseph.

Les événements ont pris une autre direction. Nous vivons encore en pleine tourmente et dans l’insécurité. La situation de la majorité des hommes a empiré depuis 1863. Le niveau de vie augmente dans de rares pays civilisés: en Afrique, en Asie et en maints endroits d’Amérique du sud, c’est l’inverse qui se produit. Sur une grande partie de la planète, la tyrannie a remplacé l’incompétence pour se révéler plus incompétente encore. Le tsar, le kaiser, l’impératrice douairière de Chine semblent indéniablement efficaces et bienveillants comparés à la moitié des chefs d’État qui siègent aujourd’hui aux Nations Unies.

Avons-nous appris quoi que ce soit? L’expérience est le plus pauvre des maîtres, mais au bout de la énième fois, chat échaudé craint l’eau froide. Avons-nous compris que l’humanité n’entrerait pas au royaume d’Utopie grâce à des idées, en rédigeant des manifestes ou en fusillant les gens?

Les professeurs de marxisme bavardent jusqu’à plus soif sur le conflit économique qui oppose le nord industriel au sud agricole. Ils n’oublient qu’une chose: c’est que Marx voyait là une lutte morale, révolutionnaire. Nous avons fait presque autant de victimes que Staline, et le peu qu’ont permis tous ces crimes n’a meme pas valu aux morts la reconnaissance des vivants.

(8 septembre 1963)

 


 

Ralph Stackpole et les fresques de la tour Coit


L’autre soir, coup de téléphone. Qui était au bout du fil? Ralph Stackpole... Il n’a plus sa jeunesse, mais moi non plus et il est resté pour sa part tout ce qu’il y a de fringant. Débordant d’idées et d’enthousiasme, il donnait l’impression de pouvoir vivre jusqu’à cent dix ans. San Francisco a connu plusieurs âges héroïques et, en discutant avec Ralph qui en fut un des meilleurs protagonistes, mes souvenirs de l’entre-deux guerres me revinrent à la mémoire, pleins de vie.

Qui est Ralph Stackpole? Aujourd’hui, seul probablement un petit nombre de lecteurs de cette chronique ont entendu parler de lui. Il fut, pendant vingt ans ou plus, le chef de file des artistes san franciscains. On peut voir ses sculptures en plusieurs endroits de la ville, notamment le long de l’escalier de la Bourse.

Ceux de l’ancien temps retiennent surtout de lui un vaste ensemble de sculptures monumentales que l’on put voir pendant une nnée avant qu’elles ne s’évaporent comme la rosée: les statues de l’Exposition universelle de San Francisco. Toutes n’étaient pas de sa main, la plupart ayant été réalisées par des artistes plus jeunes dont il avait été le professeur ou qu’il avait influencés. Elles étaient dominées par une création gigantesque qu’il avait intitulée Pacifica, selon le thème de l’Exposition.

Rien ne subsiste de ce travail d’artiste. Il promettait de devenir un style nouveau, caractéristique de San Francisco, une combinaison d’influences venues du bassin pacifique tout en demeurant authentiquement indigène. Cours et fontaines de l’Exposition se présentent à mon esprit dans une parfaite netteté — de nobles figures, aimables et ensoleillées. Elles en firent sans nul doute l’une des Expositions universelles les plus courtoises et gracieuses. Et elles annonçaient une joie, une foi et un espoir d’une qualité que nous ne retrouverons jamais plus.

À peine avaient-elles été mises en place que la guerre balaya une fois encore la civilisation. Lorsque la lumière revint sur l’Europe, l’art avait pris la tournure de l’aliénation, de la défiance et du dégoût pour la civilisation même et l’ensemble de ses valeurs.

Avant d’aller déjeuner, j’ai invité ma secrétaire à monter voir les peintures murales de la tour Coit, qui furent elles aussi exécutées sous la responsabilité de Ralph. J’avais gardé d’elles l’image d’une sorte de bande dessinée qui se déroulait au-dessus de la tête des visiteurs.

Je fus surpris de découvrir qu’elles sont d’une excellente tenue. Bon nombre des meilleurs artistes de la région y ont participé... et pour toute la période du New Deal, aucune autre réalisation ne les égale aux États-Unis. Le seul projet artistique subventionné digne de leur être comparé fut également réalisé ici, à San Francisco — je pense aux fresques de Hilaire Hiler et de ses associés, dans le parc aquatique. Il n’existe pas de plus belle image de la Californie des années 1930. Certes, on y voit des masses de manifestants, de grévistes et de chômeurs brandissant des journaux révolutionnaires; mais leur présence est vraiment discrète au milieu des travailleurs des champs, des ouvriers, des dockers et des gens ordinaires, tous habités d’une vigueur extraordinaire — joie, espoir et confiance en l’avenir, qui expriment l’esprit de San Francisco aux pires heures de la Dépression...

(23 février 1964)

 


 

La Grèce antique à la rencontre de l’Inde


Je ne saurais trop recommander la visite de l’exposition de sculpture classique de l’Inde qui se tient au musée De Young. C’est une expérience qu’on ne fait qu’une fois au cours de son existence.

Mes collègues journalistes ont relevé dans leurs comptes rendus la trace d’une influence grecque, ou hellénistique du moins, sur plusieurs pièces exposées. On ignore généralement qu’Alexandre, après avoir conquis la Perse jusqu’à ses limites orientales le long de l’Indus, fonda, au Pakistan et en Afghanistan d’aujourd’hui, de nombreuses cités ou garnisons grecques. Coupés du reste du monde grec, les monarques de ces royaumes gouvernèrent la région jusqu’au début de l’ère chrétienne.

Ainsi, le royaume de Bactriane (la ville de Bactries, de nos jours, s’appelle Balkh), recouvrit un temps une grande partie de l’Afghanistan, du Turkestan, du Pakistan et même, brièvement, une notable portion de l’Inde du sud.

On sait peu de chose de ces rois, sinon qu’ils firent graver leurs portraits sur des pièces de monnaie, exemples les plus beaux qui soient de numismatique. Leurs traits subtils et arrogants font penser de près à ceux des gentlemen aventuriers britanniques qui devaient prendre leur succession 2000 ans plus tard. Il n’est pas jusqu’à la coiffe d’Eucratidès qui ne fasse songer à un casque médiéval.

C’est dans ce berceau que le bouddhisme Mahâyâna grandit, s’épanouit, et traversa l’Asie entière pour atteindre le Japon. Ses artistes et ses décorateurs recouvrirent temples et grottes sanctuaires d’une sculpture et d’une peinture tirant leur inspiration plastique de la lointaine Méditerranée grecque. Ils firent preuve d’une incroyable fécondité artistique, au foisonnement illimité et qui défie l’imagination. Bien qu’il se soit agi, je suppose, de ce que nous appellerions un art commercial, produit dans des ateliers organisés sur une base de production moderne, nulle part ailleurs le génie grec d’après Alexandre n’atteignit un tel niveau, sauf à Rome peut-être, dans certaines oeuvres du règne d’Auguste.

Nous avons là un des épisodes les plus fascinants de l’Histoire, d’autant plus stimulant pour l’esprit qu’il nous est mal connu et que ce que nous en savons ne laisse pas d’être extraordinaire.

Nous savons que les drames d’Euripide y étaient représentés dans des cours surplombant, depuis la chaîne de l’Hindou Kouch, les déserts de l’Asie centrale. Nous savons qu’Hercule et Vishnou, Bacchus et Shiva étaient confondus sur les pièces de monnaie. Nous savons que le bouddhisme, qui était à l’origine une sorte d’empirisme religieux athée, se transforma en une religion à mystères, comparable à celles du bassin méditerranéen.

Un soutra Mahâyâna, Les Questions de Milinda, a comme interlocuteur l’aventurier Menander qui, chassé de Bactriane par des barbares envahissants, a conquis une portion notable de l’Inde occidentale. Un peu partout le long des côtes, aussi bas que la ville de Bombay, on peut voir des tombes gravées de noms grecs. Les âmes des morts sont tantôt dédiées à Bouddha et à ses bodhisattvas, tantôt aux divinités hindoues, ou encore aux divinités de la mère patrie, là-bas, de l’autre côté du monde.

... Pendant longtemps, les philologues furent intrigués par une langue aryenne, que parlaient une bande de pillards sauvages, assassins et pouilleux, vivant dans les montagnes et les vallées de la frontière au nord-ouest. Ils étaient sans aucun doute les habitants les plus avilis et indociles de la plus indocile des contrées. Un jour, quelqu’un découvrit que la langue qu’ils utilisaient était une forme dégénérée de celle de Platon.

Un ami me demande si c’est le genre d’information qui convient à une chronique. Et pourquoi pas? Je ne me vois pas polémiquer pendant trois semaines d’affilée. Je sentirais que je me rouille, comme les vieux ponts. C’est un sujet qui sort de l’ordinaire et qui fascine. Il est pertinent et nous invite à la réflexion. Dans quelle horde de sauvages, et dans les montagnes reculées de quel pays croyez-vous qu’on parlera encore anglais d’ici 2000 ans?

(21 juin 1964)

 


 

Émerveillement et méditation dans les montagnes


Les gens disent souvent qu’ils partent dans la nature pour se mettre à l’écart de tout. C’est peut-être ce que je recherchais dans ma jeunesse, car je me souviens d’avoir passé des mois ainsi, seul ou avec Andrée, ma première épouse, munis de notre sac à dos et fuyant toute rencontre. Comme la sierra à cette époque était moins fréquentée, notre projet était plus facile à réaliser.

Nous passions notre temps à méditer et à nous émerveiller — l’escalade est un exercice d’émerveillement, la pêche à la truite un exercice de méditation —, tirant notre force de l’intérieur de nous-mêmes. Lorsque nous voyions quelqu’un arriver au loin nous l’évitions, et la redescente dans la vallée où nous achetions nos provisions, croisant brièvement d’autres humains, nous rendait toujours irritables.

Je suppose que j’ai vieilli, que j’ai mûri comme on dit, puisque mes motivations sont désormais différentes. Je ne vais plus à la montagne pour fuir autrui mais, au contraire, pour me réconcilier avec lui. Au bout de onze mois, je sens que mon attitude envers les hommes devient de plus en plus mécanique. Imperceptiblement, je les revêts des masques et des haillons qui nous servent à classer les êtres humains — causes, tendances, appartenance sociale, forces, idéologies et toutes sortes d’étiquettes.

Le plus mortel des péchés, disait Kant, est de considérer l’autre comme un instrument ou un moyen, et non comme une fin en lui-même. Cela n’empêche pas la société de faire de nous, contre toute humanité, contre toute sensibilité, des instruments les uns pour les autres. Tous, nous sommes corrompus par un monde qui s’efforce de faire de chaque objet et de chaque personne des moyens en vue d’atteindre une fin autre. Je résiste tant que je peux, mais l’infection, le virus me gagne, qui transforme tout homme — un “je” comme moi-même — en une chose à mes yeux, et me transforme secrètement moi-même en une chose aux yeux de mon semblable.

Ainsi, lorsque je m’éloigne un peu et rejoins pour un temps les pierres, les fleurs et les poissons, la vie reprend vie. Le président de la République, le meurtrier dont parle le journal, le Pape, les passants dans la rue, ne représentent plus qu’eux-mêmes: ce sont des hommes comme moi. Il n’y a plus ni marxistes, ni catholiques, ni démocrates. Ni Américains, ni Eskimos, ni Noirs. Des gens qui me ressemblent. Nous sommes ensemble et nous ignorons ce qui va se produire.

Certains trouvent un grand confort à répéter que tous les êtres humains ont une âme, également précieuse au regard de Dieu. C’est un sentiment estimable et une grande vérité. Mais il me semble parfois que nous nous en servons pour esquiver le problème: nous avons en tête une abstraction appelée “tous les hommes”, qui seraient unis sur une gigantesque fresque à la Fra Angelico, entièrement équipée, avec auréoles, harpes et sourires béats sur des visages tous identiques.

Nous sommes en août et, allongé sous le ciel de la fin d’été, je regarde la Grande Nébuleuse d’Andromède qui nage là-haut et passe - nuage de millions d’étoiles, chacune de la taille de notre soleil. Et je pense au monde, là, au pied des montagnes. Plus de deux milliards d’êtres humains sont en vie. Chacun d’entre eux est un animal comme moi, nu sous ses vêtements. Sous sa peau, son corps est rempli de sang, d’os, de chair et de mystérieuses cellules qui le maintiennent en vie. De temps en temps, elles le font souffrir et, un jour, elles cessent de fonctionner; l’être humain meurt et devient pourriture. Chacun ne représente que lui-même, une personne nommée Barry, Nikolai, Wang ou Nkerere. Nul autre jamais ne le remplacera. Chacun d’entre eux nage dans mon imagination, comme la Nébuleuse d’Andromède, deux milliards de fois le même nuage, et chacun prononce le mot qui à tout jamais l’empêche d’être une chose — celui dont je me désigne moi-même: le mot “je”.

(23 août 1964)

 


 

Du mysticisme, éthique et pharmaceutique


Camper en haute montagne représente pour moi, un moment de retour à soi et de mise en ordre de mes pensées et de mes actes. Un examen de conscience pour l’année écoulée, comme l’examen auquel se livrent les moines, chaque soir avant de dormir. Cette année, j’ai emporté dans le paquetage de nos mules quelques recueils de poèmes chinois et français, des manuels d’histoire naturelle et d’astronomie pour les enfants, et quelques livres religieux — des pages choisies du baron Friedrich von Hügel et deux ou trois livres d’auteurs plus récents, parmi lesquels Alan Watts.

Depuis que je l’ai découvert à l’âge de quinze ans, j’ai toujours trouvé conseil et illumination auprès de von Hügel. Il reste selon moi le plus profond, le plus sensible et, de loin, le plus équilibré et raisonnable des écrivains religieux du XXe siècle — l’un des esprits majeurs qu’ait produit l’Église catholique romaine des temps modernes. Naguère encore, on le suspectait de “modernisme”.

Ses idées aujourd’hui ont fait leur chemin au-delà de ses attentes et elles nous paraissent à tout prendre conservatrices et prudentes. Il a été rétabli dans sa réputation, mais je doute qu’il soit beaucoup lu. C’est dommage, car il offre un remède sage contre la maladie de notre époque.

Il y a tant d’écrits spirituels maintenant qui prêchent une religion sans larmes, la vision sans la responsabilité. Aldous Huxley, Christopher Isherwood, Gerald Heard, Alan Watts s’évertuent depuis des années à populariser et rendre accessible aux masses petites bourgeoises vivant dans des taudis aux façades roses et aux fous de Zen qui habitent des immeubles sans eau chaude, une illumination à bas prix, accessible sans effort. En fait, Huxley les derniers temps et Watts aujourd’hui, préconisent de se la fournir à la pharmacie du coin. Une goutte d’acide lysergique fait l’affaire, la béatitude ne coûte pas plus de trois francs la dose. Cannabis, peyotl et héroïne sont là pour vous faire planer et voir le visage de l’Absolu pharmaceutique. Après quoi, le foyer de postcure ou l’hôpital vous refont une santé, et vous pouvez repartir pour un tour.

Voilà la triste fin que connaît le bouddhisme Zen à North Beach et à quoi aboutit l’engouement d’après-guerre pour l’extase à bon marché. Il est facile de comprendre comment on en est arrivé là. Huxley, Heard et Watts ne manquent pas une occasion de railler les dogmes superficiels de la religion, les codes moraux, l’hypocrisie victorienne, le genre de propos injurieux qu’il est de bon ton de tenir dans les milieux sophistiqués. Cela s’appelle de l’antinominisme. À quoi s’ajoute leur propre dogme, qui veut que toutes les religions n’en forment qu’une. Toutes ont pour but, selon eux, de révéler un moyen unique d’atteindre l’extase, de sorte que toutes les distinctions péniblement établies au nom desquelles les hommes se sont fait la guerre et ont dressé des bûchers, sont confondues dans une bouillie sentimentale d’où s’élève un parfum d’encens de seconde qualité. Le mot qui convient ici est: gnosticisme.

Le système éthique par lequel les vulgarisateurs de la religion veulent remplacer les vieux codes moraux dépassés, est la simplicité même: il suffit d’aller acheter un de leurs livres au supermarché et, après l’avoir lu, d’ingurgiter un flacon de LSD — vous devenez un bouddha sur commande! Il n’y a qu’une expression pour dire cela: charlatanisme.

De fait, toutes les religions ont certains principes en commun. L’un d’entre eux veut que l’expérience de l’illumination, l’extase du mystique, se produise à l’improviste chez la plupart des gens et dans un ou deux brefs moments d’une grâce particulière au cours de leur existence. Autrement, cette expérience est le fruit d’une vie vécue dans une responsabilité bien plus extrême que celle qu’exige la morale la plus stricte. Le contemplatif catholique, le soufi, le moine bouddhiste respectent les règles qui les guident vers la perfection: l’illumination vient couronner leur vie d’intense activisme éthique, d’honnêteté, de loyauté, de pauvreté, de chasteté et, par-dessus tout, de charité, d’amour effectif et bienveillant pour toutes les créatures. La bonne vie crée une atmosphère dans laquelle l’illumination spirituelle se répand, comme une lumière sans source et enveloppante.

L’un des aspects digne d’être relevé dans les doctrines des mystagogues modernes est que leur objectif, le but de tous leurs efforts, devient chaque jour plus irréel et abstrait. Chesterton disait: mieux vaut adorer une idole de bois que l’absolu. L’être ne repose pas sur une abstraction — c’est une concrétion.

Si le mot Dieu a un sens, il désigne ce qui est chargé du plus de réalité au monde; ce qui est plus réel que tout. L’homme religieux ne recherche pas l’expérience de l’illumination en tant qu’expérience personnelle — pour prendre son plaisir. Il est en quête de réalité et peut ne pas s’apercevoir qu’il a rencontré l’illumination. Cette distinction fait toute la différence.

(30 août 1964)

 


 

Tartufferie wagnérienne


“Eh bien, dis-je au patron en lui rendant mon papier dimanche dernier, grâce au ciel, la nouvelle saison de l’opéra arrive. Je n’aurais plus à parler de religion et de l’avenir de l’humanité. Je me faisais l’impression de devenir un vieux rouspéteur.”

Comble de malchance, il suffisait que je veuille aller à l’opéra pour qu’on y joue Parsifal! Je n’ai jamais compris pourquoi on monte un machin pareil, même à Bayreuth, le temple de Wagner. Huneker, il y a longtemps, résumait ainsi Parsifal: “On y voit une bande de mysogines s’adonner à la magie, armés de lances, de philtres, de coupes de cristal et de formules rituelles, tout en acceptant d’être servis par une femme, une pauvre, malheureuse sorcière. Le second acte nous transporte au pays familier des mauvaises dramatiques. Un méchant magicien essaie de détruire la forteresse des nobles chevaliers en évoquant un spectre d’une grande beauté. Incantations, sortilèges, lumières et hurlements conspirent à glacer le sang du spectateur”.

Ainsi s’exprimait mon mentor, dans des phrases qu’un nombre incalculable de critiques américains ont reprises après chaque représentation de Parsifal. Mes anciens camarades, les critiques Brockway et Weinstock, ne sont pas plus tendres. Parsifal est “malsain, ennuyeux, incompréhensible, douteux, immangeable parce que trop mûr”; c’est “un tissu de mauvaise qualité, d’une phosphorescence décadente”; un opéra “stupide, d’une innocence maladive, moralisateur et névrosé”; un “ragoût de balivernes mal assimilées, une machinerie pompeuse pour des résultats singulièrement éculés et plats”; une oeuvre “statique, criarde, stridente, pâle, négative, à l’action débilitante, carrément monotone”, et ainsi de suite pendant deux pages, auxquelles ils ajoutent le célèbre passage de Huneker cité plus haut. Je ne sais pas ce qu’en a dit Shaw, mais cela ne devait pas manquer de mordant.

Tout est tellement impur dans Parsifal. Ma fille Mary, compare la pièce à la consultation d’une voyante pour clientèle riche. Nietzsche eut raison de rompre avec Wagner et de voir en lui un de ces vulgarisateurs d’idéaux à la cervelle boueuse, occupés à porter à la civilisation occidentale des coups dont elle ne se remettrait jamais.

L’inventivité musicale dont Wagner avait un jour fait preuve s’est transformée à l’époque où il composa Parsifal en une bouillie, clapotant dans un esprit vide et sale. Une pâte molle, une plâtrée religieuse, pire: une complète divagation. En jetant un coup d’oeil sur votre programme une fois rentré chez vous, vous vous apercevez qu’il est couvert des méchancetés et des glapissements de désespoir que vous avez griffonnés dans le noir. Puis, vous comprenez que le sujet vous éclaboussera si vous vous en mêlez. Mieux vaut changer de trottoir en hochant la tête.

Le second spectacle que nous avons vu concernait, en un sens, Wagner, Parsifal et tout ce qui s’ensuit. Je veux parler du Tartuffe de Molière que présentait, à la manière de la commedia dell’arte, la compagnie de Ronny Davis. Quel bonheur! Pur et brillant! Après Parsifal, j’éprouvais le besoin de me purifier l’haleine. Tartuffe m’a rendu la santé, nettoyé et désodorisé.

Ronny Davis s’améliore sans cesse; lui, comme acteur et metteur en scène et sa troupe, comme acteurs possédant un authentique nouveau style. Leur jeu est libre, aisé, comme une bande de gosses bruyants jouant par plaisir. Ils reprennent l’immémoriale tradition comique, qu’un professionnalisme stérile est en train de tuer pour répondre aux exigences de la culture télévisée. Hormis le théâtre chinois, je ne vois aucun autre spectacle en ville qui soutienne la comparaison.

Je n’ai pu éviter de parler de religion aujourd’hui encore puisque, tant Parsifal que Tartuffe abordent ce thème. Seulement, Molière était un homme profondément religieux, comme Rabelais, et ses pièces recèlent un pouvoir évangélique caché, au même titre que les paraboles des Évangiles. Voulez-vous savoir pourquoi Wagner a créé sa parodie de religion? Relisez sa correspondance. Wagner écrivit Parsifal sans vergogne, froidement, dans un seul but: se faire de l’argent.

(20 septembre 1964)

 



Deuxième partie du San Francisco de Kenneth Rexroth, traduit de l’américain par Joël Cornuault (Éditions Plein Chant, 1997). Reproduit avec l’autorisation du traducteur et de l’éditeur. Les textes originaux (copyright Kenneth Rexroth Trust) ont paru dans le journal San Francisco Examiner et le mensuel San Francisco.

L’édition imprimée du San Francisco de Kenneth Rexroth contient beaucoup de belles illustrations ainsi que d’utiles notes et commentaires par le traducteur. On peut commander ce beau livre auprès de la Librairie “À la Page” (anciennement Libraire La Brèche).


[Kenneth Rexroth en français]

[Autres textes en français]

[REXROTH ARCHIVE]

 

     


HOME   INDEX   SEARCH


Bureau of Public Secrets, PO Box 1044, Berkeley CA 94701, USA
  www.bopsecrets.org   knabb@bopsecrets.org