B U R E A U   O F   P U B L I C   S E C R E T S


 

Opinions francophones sur le BPS

 

Daniel Denevert
Jean-Pierre Voyer
Jean-Pierre Baudet
Anonyme
Max Vincent
Philippe Billé
Jean-Pierre Depétris
Didier Mainguy
Évelyne Bloch-Dano
Ronald Creagh
Infokiosque des Schizoïdes Associés
Jean-Pierre Depétris
 


 

La notion de behindism dans Double-Reflection était encore acceptable comme tentative de description et de compréhension de ce que son auteur jugeait être “un problème organisationnel permanent de notre époque”. Si elle relevait déjà d’un souci très discutable de distinguer, d’autres manifestations de suivisme plus vulgaire, une forme un peu plus authentique, elle était cependant relativisée et encore lisible du fait qu’elle venait s’ajouter à d’autres façons d’approcher la même question; elle entrait, sans plus de prétention, dans la mêlée des discussions. La plus grave défaut de cette notion découlait justement du parti-pris de l’auteur de considérer “l’activité pratique-critique” comme suffisamment établie et parfaitement étudiable comme telle, sans voir que cette notion de behindism ne s’était révélée que dans un secteur particulier de la pratique sociale de la théorie et dans une conception elle-même étroite de la notion de théorie. [...] L’ “activité théorique” n’existe pas, c’est une représentation tendant à justifier le rôle de petits spécialistes en révolution et accompagne en même temps la paralysie de leurs imitateurs directs. [...] De même le terme de “théoricien” est un effet du fétichisme du langage, régi par la logique de la division du travail et recréant cette logique. [...] L’optique de la Bay Area tendait plutôt à renforcer encore l’image du théoricien-modèle que le behindist avait déjà dans la tête. Ce n’était pas la notion de behindism dont il fallait prouver l’effectivité, c’était le modèle théorique que cette notion impliquait qu’il fallait critiquer. Pour qu’il y ait un behindist, il faut être au moins deux, et que le second s’en accomode. Le behindism est un phénomène qui ne peut durer que dans le contexte de relations illusionnistes entre les individus, accompagnant une entreprise dont les objectifs sont insuffisamment définis, abstraits. Lorsque la tâche est claire, et donc les obstacles qu’elle doit réduire, l’éventuel behindist ne peut que vaincre ou se rendre, mais certainement pas s’installer dans des demi-mesures.

—Daniel Denevert, “Sur le fond d’un divorce” (Paris, octobre 1977)

 


 

Marx note justement que c’est dans l’État le plus démocratique de son temps, les États-Unis d’Amérique, que les citoyens sont le plus religieux. [...] Si le monde de la marchandise est un monde religieux, le fait que l’État soit libéré de la religion entraîne que les citoyens y sont d’autant plus soumis. [...] Il n’est donc pas étonnant que ce soit un Américain et un Américain vivant en Californie, Ken Knabb, qui le premier, à notre connaissance, nota, dans sa brochure The Realization and Suppression of Religion (Berkeley, 1977) traduite depuis en français, les insuffisances de la critique situationniste relativement à la religion.

—Jean-Pierre Voyer, Revue de Préhistoire Contemporaine no. 1 Paris, mai 1982)

 


 

Je te remercie bien pour m’avoir envoyé Public Secrets. Cela m’a permis de lire globalement ce que tu as écrit sur la religion (ou de le relire, dans la mesure où j’en avais déjà lu certains textes). La religion est sans doute une question qui doit être abordée aujourd’hui pour la simple (quoique déplorable) raison que, à des niveaux et dans des modes différents, elle n’a pas disparu, comme on pouvait imaginer (et espérer) il y a quelques décennies. Au contraire, dans tous les pays modernes une sorte de religion moderne (l’économie) domine toujours les gens, avec son éthique, sa théologie et ses prêtres, et néanmoins des religions traditionnelles survivent aussi; dans les pays des structures plus archaïques, les formes traditionnelles de la religion ne survivent pas seulement, mais croissent et se renforcent lourdement, notamment dans les régions islamiques du monde. Il semble donc évident qu’il est impossible de négliger cette question.

La réalisation et la suppression de la religion était écrit en 1977 d’un point de vue américain, je veux dire dans un pays où la société du spectacle était déjà pleinement développée, et où il était déjà évident que certains nouveaux types de religions (des sectes) n’étaient pas (comme on pouvait le croire, à tort, à partir d’une perspective européenne) une simple compensation pour un degré inachevé du spectacle, et ainsi destinés à disparaître, mais qu’au contraire, tous les deux, le spectacle complètement achevé et la religion, se sont avérés des phénomènes conjugués capables de coexister. En un mot, le spectacle (bien qu’étant lui-même une sorte de religion mieux adapté aux “temps modernes”) n’a pas remplacé la religion, n’a pas réalisé ce qu’il l’aurait dû d’un point de vu strictement radical. Mais cela, ne devrait-il pas avoir conduit à une analyse plus profonde de la question: quel genre de religion a disparu, et quel genre a subsisté?

Dans le passé, la “religion” a inclus bien des aspects différents, voire contradictoires. Parmi eux, certains ont été évidemment récupérés par le spectacle, d’autres ont été abandonnés et avaient dû être résolus par des moyens (religieux) traditionnels. Mais quels sont les éléments qui sont restés? Il semble que les éléments que tu mets en avant sont plus ou moins liés avec ce que je pourrais nommé la dimension “médicale” (ou “hygiénique” ou “thérapeutique” ou “californienne”) de la religion; dans la société moderne, les gens ressentent des besoins naturels pour un “équilibre personnel” qu’ils ne peuvent apaiser qu’à travers des techniques essentiellement thérapeutiques, disons semi-religieuses.

Mais nous savons tous que cela n’était qu’un seul aspect parmi d'autres des religions du passé. La religion essayait d’être en même temps cette sorte de “medicine” mais aussi un système de connaissance (mythologie, histoires de la genèse, pratique magique, compréhension de la nature); une ligne directrice pour l’art et l’esthétique; une façon de structurer l’échange sociale inspirée par les soi-disant rapports de l’homme aux dieux et au monde en général; et last but not least, une tentative de l’homme de réfléchir sur sa vie et sa mort, le contraste entre son corps limité et son esprit “infini” — tout cela mélangé dans un contexte totalement aliéné et essayant de le conduire à un tout cohérent, placé presque sans exception sous le contrôle d’un pouvoir déjà dominant ou en formation. [...] Ces besoins sont trop thérapeutiques pour être considérés comme une religion d’un point de vue religieux, et trop religieux pour être acceptés comme purement thérapeutiques d’un point de vue anti-religieux. Tout cela explique, à mon avis, pourquoi ta tentative de faire une synthèse ne peut aboutir à rien de bon: ce qui reste de la religion était principalement la dimension “thérapeutique”, c’est-à-dire la plus prosaïque, celle que les religions dominantes (au moins en occident) ont toujours rejeté comme une perspective inférieure, comme une partie essentiellement non-religieuse de la religion. [...]

Pour ces raisons, je crois que la théorie du spectacle avait bien raison de présenter la religion comme remplacée en grande partie par l’économie et le spectacle. Ce qui restait n’était que des parties, des fragments de religion. Le besoin de se sentir comme élément d'un tout, ou d’être soi-même, que ressentent les gens de temps à autre, peut par exemple être satisfait par une société libre où l’homme serait effectivement un élément unique et irremplaçable d'un tout (voilà pourquoi Athènes antique n’avait aucun besoin d’une véritable religion: les questions que la religion peut seulement poser était déjà en train d’être résolues par la démocratie active), mais en attendant (bien longtemps) les gens ont continué à essayer de résoudre les problèmes avec des croyances, la foi, et bien sûr les révolutionnaires ne peuvent que s’opposer à de telles méthodes, telles berceuses, telles anesthésiques. L'absence d’une solution juste doit être expérimentée et ressentie par tout le monde: c’est bien la solution saine, dans la mesure où la santé a quelque rapport avec l’intelligence! Le fait de pratiquer le yoga, par exemple, ou d’autres techniques de relaxation pour sa santé personnelle, c’est pour moi une question strictement personnelle, comme celles de boire du vin ou de faire l’amour; il ne faut pas propager ou dénoncer de telles comportements publiquement, mais elles ne doivent pas être confondues avec des idées sociales, la théorie radicale, etc. (par ailleurs, je crois que le vin ou l’érotisme sont finalement plus compatibles avec une vie sociale émancipée que ne l’est le fait de s’asseoir tout le jour sur un tapis de prière). Je crois donc que ton argument a une base double et contradictoire: quand on t’attaque sur la question du Zen, tu te défends en disant que cela n’est qu’une question personnelle, mais en même temps tu essaies de propager le tout. Tu essaies ainsi de concilier des gens et des activités (bouddhisme et activisme critique) qui n’ont rien en commun, et qui ne peuvent avoir rien en commun. [...]

 Ton analyse et ta critique ne traitent que de la religion chrétienne, tandis que le bouddhisme est traité comme une expérience personnelle” (“Le Zen en particulier est plus une pratique qu’un système de croyances”, p. 145). Parce que tu aimes celui-ci et n’aimes pas celle-là? Un jugement très inéquitable. Et crois-tu vraiment que la description de ton séjour à Tassajara peut être compris comme “une suggestion de ce que peut être la vie”? Évidemment la vie peut être comme cela, mais le doit-elle? Et est-ce que tu attends que les gens luttent pour une telle “vie”? [...]

Je ne pense pas qu’aucun de tes lecteurs européens puissent approuver publiquement cette partie de ton livre, et quant à moi, j’aurais bien sûr à la répudier à la première occasion. Je suppose que tu es conscient de telles conséquences, et je voudrais savoir ce que tu en penses.

—Jean-Pierre Baudet (Paris, mars 1997)


[Si ces extraits de la lettre de Jean-Pierre Baudet sont maladroits, c’est parce qu’il m’a écrit en anglais et que j’ai dû les retraduire en français. Des textes et des correspondances de Baudet et quelques-uns de ses amis se trouvent sur le site: Les Amis de Némésis.]

[*Ici, comme ailleurs, les ellipses signalent des coupures dans le texte cité. Sauf indication contraire, les passages cités dans cette page web ne sont que des extraits, ils ne prétendent pas représenter des textes intégraux. Dans ce cas particulier, la lettre de Baudet comprenait d’autres remarques assez extensives sur l’histoire de la religion et sur d’autres sujets plus ou moins directement connexes (la musique, par exemple); ainsi que d’autres informations qui n’avaient rien à voir avec la “question de la religion”. Je n’ai pas cité ces passages-là parce qu’ils n’ont aucun rapport (ou très peu) avec mes écrits.]

[Une réponse à Baudet se trouve ici.]

 


 

Ce livre constitue une surprise, et non des moindres: l’Internationale situationniste a eu — et a encore — ses adeptes aux États-Unis! Il réunit en effet des textes écrits de 1970 à nos jours. Les premiers sont savoureux car ce sont des pastiches des célèbres bandes dessinées détournées de la période précédant mai 68. Les textes suivants s’éloignent de manière significative de leurs modèles européens. On peut donc affirmer sans risque de se tromper qu’il existe une branche autonome de l’IS outre-Atlantique. On s’en rend d’ailleurs compte dans les thèmes centraux abordées ou dans l’étude de problèmes de géopolitique, comme par exemple la question iranienne en 1979: la volonté de contester la politique américaine en la matière amène l’auteur à faire un pronostic totalement erroné sur le soulèvement populaire qui a amené les autorités religieuses au pouvoir.

Ce recueil aurait pu être un titre pour 10/18 à la grande époque des grandes hérésies politiques mondiales. À l’heure actuelle, cela paraît plus problèmatique.

Mais il n’en reste pas moins vrai que Public Secrets est un document de premier plan, non seulement sur une pensée politique qui se veut encore une philosophie en acte, mais aussi sur un aspect inconnu de la vie intellectuelle américaine, qui n’arrêtera jamais de nous étonner — cette fois dans le bon sens.

—tract anonyme (Paris, novembre 1997)

 


 

On voit parfaitement ce qui sépare Semprun et Trenkle. Là ou le premier, pour expliquer le monde tel qu’il ne va pas, se focalise sur la production industrielle et les nouvelles technologies, le second, partant des contradictions entre forces productives et rapports de production, tente de définir le cadre qui permettrait de mettre la science et les technologies à l’épreuve des choix par lesquels nous aspirons à vivre dans une société plus libre, plus juste, plus solidaire, plus riche en potentialités diverses. C’est aussi la question de la démocratie qui est posée ici. Il faudra bien y revenir.
        Dans son ouvrage La Joie de la révolution Ken Knabb consacre un sous-chapitre aux “objections des technophobes”. Cet essayiste, tout en s’inscrivant dans un courant de pensée différent de celui des membres du groupe Krisis (anarchiste pour le premier, marxiste pour les seconds), anticipe en quelque sorte la réflexion de Norbert Trenkle. Il remarque que “les technophobes et les technophiles (qui) s’accordent pour traiter la technologie isolément des autres facteurs sociaux, ne divergent que dans leurs conclusions, également simplistes, qui énoncent que les nouvelles technologies sont en elles-mêmes libératrices ou en elles-mêmes aliénantes”. Knabb précise cependant que “la technologie moderne est si étroitement mêlée à tous les aspects de notre vie qu’elle ne saurait être supprimée brusquement sans anéantir, dans un chaos mondial, des milliards de gens”. Il s’appuie sur les exemples suivants (souvent cités, mais toujours pertinents): “Je doute que les technophobes voudront réellement éliminer les fauteuils roulants motorisés; ou débrancher les mécanismes ingénieux comme celui qui permet au physicien Stephen Hawking de communiquer malgré sa paralysie totale; ou laisser mourir en couches une femme qui pourrait être sauvée par la technologie médicale; ou accepter la réapparition des maladies qui autrefois tuaient ou estropiaient régulièrement un fort pourcentage de la population; ou se résigner à ne jamais rendre visite aux habitants d’autres régions du monde à moins qu’on puisse y aller à pied, et à ne jamais communiquer avec ces gens là; ou rester là sans rien faire alors que des hommes meurrent de famines qui pourraient être jugulées par le transport de vivres d’un continent à l’autre”.
        Ken Knabb fait ensuite l’inventaire des technologies qui devraient disparaitre: en premier lieu le nucléaire, mais aussi les industries produisant des marchandises inutiles ou superflues. En revanche, pour d’autres (de l’électricité aux instruments chirurgicaux, en passant par le réfrigérateur et l’imprimerie), “il s’agit d’en faire meilleur usage (...) en les soumettant au contrôle populaire et en y introduisant quelques améliorations d’ordre écologique”. Knabb reprend le sempiternel exemple automobile dans des termes voisins de ceux de Trenkle. Précisons que l’EdN [Encyclopédie des Nuisances] ne peut être assimilée à la tendance la plus fondamentaliste de l’écologie à laquelle se réfère principalement Ken Knabb. Jean-Marc Mandosio consacre d’ailleurs plusieurs pages de Après l’effondrement à réfuter les thèses de John Zerzan, le principal penseur de ce courant. Trop proche en définitive d’Heidegger (lequel, de part son compagnonnage nazi sent trop le soufre pour se retrouver dans le panthéon encyclopédique, parmi les contempteurs de la technique). Et Mandosio n’entend pas remonter à la préhistoire pour chercher l’essence de la technologie. La société industrielle lui suffit. C’est aussi dire que les encyclopédistes, qui affirment haut et fort leur opposition à la “société industrielle”, deviennent plus prudents, plus évasifs, voire plus modestes quand l’on aborde les questions du “comment faire” ou du “comment vivre” qu’implique la destruction de cette même société.

Max Vincent, Du temps que les situationnistes avaient raison (février 2007)
 www.lherbentrelespaves.fr/html-textes/edn.html

 


 

Je fais mienne cette analyse d’un de mes observateurs politiques préférés, François Talmont: “Les situationnistes étaient ennuyeux, prétentieux et à côté de la plaque. Les post-situationnistes, c’est la même chose, mais en pire.” Naturellement, cette vérité générale ne doit pas faire oublier qu’il y a, comme souvent, des exceptions. L’une d’elles est à mes yeux le cas intriguant de Ken Knabb, dont l’autobiographie, écrite en 1997, est lisible sur son site Bureau of Public Secrets, dans la version originale en anglais (Confessions of a mild-mannered enemy of the State) ainsi que dans une traduction française hélas bourrée de coquilles et de fautes (Confessions d’un ennemi débonnaire de l’Etat). Il se dégage de ce document un charme certain, qui tient à la fois aux aspects pittoresques et inattendus de la personnalité de l’auteur, ainsi qu’à ses qualités littéraires, et d’abord à sa limpidité d’expression, si différente du “style situationniste étrange et tortueux”.
        Né en 1945 en Louisiane dans un milieu catholique rural, il passa son enfance dans des fermes familiales du Middle West. Après des études dans une université de l’Illinois (fondée sur le modèle de celle de Chicago, qu’on a plaisamment décrite comme “une université protestante où des professeurs juifs enseignaient la philosophie catholique à des étudiants athées”), il se rendit en Californie et s’installa définitivement à Berkeley. “N’ayant pas à subvenir aux besoins d’une famille”, il a vécu de “revenus qui n’ont jamais dépassé le seuil officiel de pauvreté”, gagnant juste le minimum vital, notamment en jouant au poker et en conduisant des taxis, tout en se préservant un maximum de temps libre. L’auteur retrace l’évolution de ses goûts littéraires (entre autres James Joyce, Henry Miller, Kenneth Rexroth dont il est un des meilleurs connaisseurs, et la chanson française) et de ses idées politiques (le passage du christianisme à l’athéisme, le gauchisme, la contre-culture anarchiste, enfin le situationnisme dont il est aussi un des meilleurs spécialistes, ayant traduit et publié dans la fin des années 70 une Situationist International Anthology). Il indique parallèlement diverses passions qui l’ont animé, comme le bridge, les drogues (peyotl, psilocybine, LSD, herbe), la musique, des sports (karaté, basket, tennis, escalade) et le bouddhisme zen.
        En lisant l’histoire de sa vie, Ken Knabb m’a donné l’impression d’un homme curieux, modeste et honnête. Je comprends ce que fut sa déception vis-à-vis des imposteurs staliniens des Black Panthers. Je me demande comment il a pu en venir à considérer que l’anarchisme n’était qu’une “idéologie comme toutes les autres, avec sa propre galerie de héros et d’idées fétichisées”, sans réaliser ensuite qu’il en allait de même avec les situs. Il ne manque pas d’exprimer des réserves vis-à-vis de ceux-ci, analysant l’usage fait par eux et leurs suiveurs des “ruptures de type situationniste”, conduisant à ce que “des antagonismes personnels de plus en plus insignifiants en sont venus à être traités comme de graves différends politiques”. Mais certainement Knabb reste prisonnier d’un certain moule idéologique. Je regrette qu’il ne regrette rien en racontant son agression saugrenue contre le poète anarchiste Gary Snyder, qu’il admirait pourtant, mais auquel il reproche principalement d’avoir été applaudi par ses auditeurs lors de ses lectures publiques, ce qui révélait “la nature fondamentalement spectaculaire de l’événement”! On retombe là en plein chamanisme idéologique. De même, n’est-ce pas par superstition situationniste, qu’à la sortie de son anthologie de l’IS, alors que les demandes pleuvent, il refuse toute lecture, interview, etc, privant ainsi le public et se privant lui-même de contacts qui auraient pu être fructueux. Hormis cette autobiographie, le matériel disponible sur son site m’inspire les mêmes sentiments partagés. J’admire son travail d’archiviste et d’éditeur de Rexroth, mais je ne comprends pas qu’il perde son temps à établir soigneusement un recueil des Graffiti du soulèvement anti-CPE de 2006, qui sont d’une banalité et même d’une stupidité consternante (du genre “Paix entre les peuples, guerre entre les classes”, “Nous voulons vivre” ou encore “Dans Grève il y a Rêve”, on voit le niveau). Enfin, c’est un mystère comme il y en a partout, mais ses Confessions m’ont plu, elles mériteraient de faire un livre.

—Philippe Billé, “Un marxiste zen” (blog, septembre 2007)
http://journaldoc.canalblog.com/archives/2007/09/11/6172210.html

 


 

Secrets Publics est le troisième livre que Ken Knabb publie en français, bien qu’il se présente toujours comme le “traducteur américain des films de Guy Debord et d’une anthologie de l’Internationale Situationniste”.
        Ken Knabb a si bien assimilé la langue et la culture française que j’ai parfois avec lui l’impression de m’adresser à un compatriote. Il conserve pourtant ce caractère très nord-américain de l’énonciation claire et directe, sans souci de paraître intelligent, ou seulement intéressant. L’ouvrage aurait-il alors pu s’appeler “L’IS pour les nuls”? Non, bien qu’on puisse incontestablement en faire une tel usage — c’est le premier livre à lire pour celui qui n’y connaît rien, ni sur la critique radicale, ni sur la contre-culture nord-américaines.
        Secrets Publics est aussi le livre d’un auteur. On voit se dessiner au fur et à mesure des publications de Knabb une pensée forte et personnelle. Le ton sans manière ne doit pas laisser ignorer la variété de l’expérience et de l’érudition, ni moins encore la souplesse et la subtilité. Ken Knabb s’implique personnellement dans tout ce qu’il écrit; il est toujours présent comme acteur, non comme témoin ou observateur. C’est ce qui lui permet de naviguer comme personne sur les sujets les plus divers sans prendre de pose ni se casser la figure.

—Jean-Pierre Depétris (site web, octobre 2007)
http://jdepetris.free.fr/pages/librairie.html

 


 

Secrets Publics, de Ken Knabb vient de sortir aux éditions Sulliver. J’ai déjà parlé du site de Ken pour la mise en ligne de l’oeuvre et de la vie de Kenneth Rexroth. Après l’avoir découvert, j’ai traduit quelques textes de Rexroth, puis de fil en aiguille, quelques pages pour le livre en préparation. Ken est un atypique. Déjà il est américain — je plaisante... — situationniste un brin zen et s’intéresse à ce qui se passe au-delà de son coin de pelouse. Bon, comme tout situ qui se respecte, il aime bien la controverse et couper les cheveux en quatre, voire en huit.
        Le bouquin est un bon témoignage sur l’histoire méconnue du situationnisme aux USA et la trajectoire d’un type atypique.
        L’occasion de saluer ici le travail de Sulliver, qui comme d’autres petites maisons d’éditions, parviennent encore à imprimer autre chose que la bouillie-best-seller.
        “Nous nous attacherons à la langue insoumise. À la langue s’efforçant de soustraire le langage à la servitude et à la pauvreté auxquelles voudrait le réduire la pensée standardisée. Et nous donnerons la parole à des textes qui sauront exprimer les appels, les plaintes, les révoltes de la part fragile du monde.”
        Et puis, si vous n’achetez pas le livre, vous pouvez en lire gratoche pratiquement tout sur le site de Ken.
        Je sais, fallait pas le dire. Excuses-moi, Ken, mais on ne se refait pas....

—Didier Mainguy (site web, octobre 2007)
http://freakences.over-blog.com/article-13342273.html

 

 


 

 

Ken Knabb est américain et situationniste (l’un n’empêche — presque — pas l’autre). Secrets Publics (Sulliver) rassemble la plupart de ses écrits, mais comprend aussi une partie autobiographique passionnante, “Confessions d’un ennemi débonnaire de l’État”, véritable document sur l’itinéraire d’un radical américain. De son enfance heureuse dans le Missouri à son engagement politique, mais aussi de sa passion pour la musique country et le blues à son goût pour la méditation zen, Ken Knabb est un personnage à la fois très singulier et emblématique de notre génération. Traducteur des films de Guy Debord, il s’exprime néanmoins dans une langue claire et concrète, non sans humour, ce qui n’est pas la moindre de ses qualités. Lire son livre est une façon de sortir de nos clichés sur l’Amérique — et sans doute de mieux la comprendre.

—Évelyne Bloch-Dano (site web, décembre 2007)
www.ebloch-dano.com/pelemele.php

 


 

Ken KNABB. Secrets publics. Escarmouches de Ken Knabb. Editions Sulliver, 2007. 408 p. couv. Illustr. Index.
       
Ken Knabb, enfant du baby boom américain, est sans doute déjà connu de nos lecteurs par son ouvrage sur Kenneth Rexroth, paru à l’Atelier de Création Libertaire, mais aussi des internautes où son “Bureau des Secrets Publics” présente en anglais de nombreux textes du situationnisme. Il réunit dans le présent livre une grande partie de ses écrits, depuis un premier tract en 1970 contre le culte du poète érigé en grand prêtre, jusqu’à un commentaire de 2006 au sujet du mouvement français anti-CPE.
        Aujourd’hui où les événements se zappent et s’oublient, tout paraît éphémère, en particulier l’actualité américaine. On commencera donc la lecture de cet ouvrage par l’autobiographie de l’auteur (p. 207). On perçoit ainsi dans leur intériorité les expériences de jeunesse, les figures tutélaires, la découverte de l’anarchisme, l’expérience bouddhiste, l’investissement inconditionnel dans l’aventure situationniste. Ce communautariste profondément indépendant exprime à travers tracts, pamphlets et affiches, sa critique réfléchie du mouvement hippie, de la Nouvelle Gauche américaine, du bouddhisme engagé et, plus récemment, du courant dit primitiviste. Ces regards sur des figures majeures comme sur des groupes éphémères laissent entrevoir les influences fluides qui s’exercent sur une certaine partie de l’opinion américaine ainsi que quelques-uns de ses plis cachés.

—Ronald Creagh,
(mars 2008, compte-rendu à paraître dans la revue Réfractions: recherches et expressions anarchistes)

 


 

À travers une écriture simple et claire, Ken Knabb donne dans ce recueil de précieux conseils aux révolutionnaires en herbes et permet aux “ancienNEs” de remettre en question certaines de leurs conceptions. Si cet ouvrage n’aborde pas les raisons de faire la révolution (si vous n’en ressentez pas la nécessité, il existe peu de chance qu’un quelconque texte vous y incite), vous pourrez y trouver de nombreuses pistes pour répondre aux questions d’ordre pratiques et théoriques auxquelles se confronte tôt ou tard toute personne désireuse de transformer radicalement la société.

Infokiosque des Schizoïdes Associés
(avril 2008, introduction pour leur édition PDF de La Joie de la Révolution)
https://infokiosques.net/spip.php?article426

 

 


 

Un vent de liberté et d’imagination a soufflé sur l’Amérique du Nord des années soixante, et tout particulièrement sur la côte ouest. Il se résumait dans la formule on ne peut plus concise: do it! Il est troublant que cette liberté et cette imagination soient parvenues à s’empaqueter elles-mêmes dans une industrie du spectacle qui devient toujours plus une part pachydermique et stratégique du marché mondial.
        Des “débrouilles” marginales ont généré des modes de vie et des économies parallèles jusqu’à modifier profondément ceux qui dominaient. Même le développement de l’ordinateur personnel, de l’internet et de la programmation en source libre n’ont pas suivi un chemin si distinct.
        L’ouvrage de Ken Knabb, Secrets Publics, est l’un de ceux qui comprennent et décrivent le mieux ce double processus. Certes, il ne le fait pas comme un sociologue ou un “spécialiste”. Les sciences humaines oublient que si l’observation objective est un facteur important de la connaissance, l’expérience l’est plus encore, puisque d’elle dépend en définitive ce qu’il y a à observer. Knabb parle à partir de ses expériences engagées, aussi modestes soient-elles.
        La contre-culture américaine était anti-spectaculaire sans le savoir. Cela Ken Knabb le savait. Il voulait aussi qu’elle le sache. Sa première véritable “action” fut plutôt modeste: la distribution d’un tract lors d’une lecture publique du poète Gary Snyder, en 1970.
        “Nous n’avons pas besoin de poètes prêtres”, tel en était le titre, comme le contenu. Dans son ouvrage, Secrets publics, il raconte l’événement avec la plus grande sincérité. Il est évident que l’auteur s’y critiquait d’abord lui-même comme fan de Snyder. Il l’est aussi que si sa critique avait atteint son but et fait évoluer quelqu’un, c’était d’abord lui-même.
        De telles remarques pourraient être ironiques. Ken Knabb a pourtant raison d’insister; on ne saisit rien dans quoi l’on ne s’implique pas personnellement. [...]
        Il n’est de toute façon pas question de ramener Knabb à l’IS, pas plus qu’à Kenneth Rexroth, ou à la contre-culture des États-Unis. Il suit, comme il l’a toujours fait, sa propre route sans se soucier beaucoup d’étiquettes et d’appartenances — disons simplement que sa route est passée par là.
        Cette façon d’avancer, sans chercher à prendre la pose d’une “personnalité”, ni se faire un “porte-parole”, ni encore moins se cacher sous l’anonymat d’un “collectif”, est le signe le plus distinctif de Ken Knabb. Elle est aussi consubstantielle de ses positions.
        Il en résulte comme second signe distinctif une extrême clarté et une grande simplicité, qui à la fois le distingue et le place dans le prolongement des situationnistes. [...]
        Dans ce qui constitue son style le plus personnel, sa marque, Ken Knabb se retrouve ainsi tout à la fois dans le prolongement et très loin de l’IS. Mieux, ce qui le caractérise le plus, cette manière de se placer au centre du monde et d’y parler sans façon dans la plus grande simplicité, me paraît paradoxalement être aussi le signe d’un changement d’époque plus général.
        Les idées ne sont jamais totalement séparables de ceux qui les énoncent, de leurs pratiques et de leurs expériences. Elles ne le sont pas davantage de la manière dont elles s’énoncent et se diffusent. Ken Knabb compte parmi ceux qui ont le mieux compris, et le mieux réussi ce passage d’une époque à l’autre. Il y est parvenu sans en avoir beaucoup parlé, comme si les méthodes, la technique, en étaient implicites.
        Il sait parfaitement utiliser les ressources de l’ordinateur et de l’internet, plus “personnels”, comme les situationnistes étaient déjà passés maîtres dans celle de la brochure, du tract, de la revue, plus propres au “groupe”, et dans l’adéquation entre le contenu et les moyens mis en oeuvre. Tous ses écrits sont en ligne, en open source, et en de multiples langues, sur le site du Bureau of Public Secrets, ainsi que les traductions de l’Internationale situationniste et une bonne part des oeuvres de Kenneth Rexroth.

—Jean-Pierre Depétris,
extraits de Ken Knabb, l’Internationale Situationniste et la contre-culture nord-américaine
(article paru dans la revue Gavroche, octobre 2008)

[Une traduction italienne de cet article se trouve sur http://bub.ilcannocchiale.it/post/1969122.html.]
 

 


Quelques opinions francophones sur les écrits de Ken Knabb (Bureau of Public Secrets).


[Autres opinions sur le BPS]

[Version italienne de ces opinions]

[Autres textes en français]

 

  


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