B U R E A U   O F   P U B L I C   S E C R E T S


 

Graffiti de Mai 1968

 

Dans le décor spectaculaire, le regard ne rencontre
que les choses et leur prix.

Métro, boulot, dodo.

Et cependant tout le monde veut respirer et personne ne
peut respirer et beaucoup disent « nous respirerons plus tard ».
Et la plupart ne meurent pas car ils sont déjà morts.

L’ennui est contre-révolutionnaire.

Nous ne voulons pas d’un monde où la certitude de ne pas mourir
de faim s’échange contre le risque de mourir d’ennui.

Nous voulons vivre.

Le droit de vivre ne se mendie pas, il se prend.

Dans une société qui abolit toute aventure, la seule aventure possible
c’est l’abolition de cette société.

L’émancipation de l’homme sera totale ou ne sera pas.

Ceux qui font les révolutions à moitié ne font que se creuser un tombeau.

Pas de replâtrage, la structure est pourrie.

Le masochisme aujourd’hui prend la forme du réformisme.

Réforme mon cul.

La révolution est incroyable parce que vraie.

Je suit venu. J’ai vu. J’ai cru.

Cours, camarade, le vieux monde est derrière toi !

Vite !

Pourvu qu’ils nous laissent le temps...

En tout cas pas de remords !

Déjà dix jours de bonheur.

Vivre au présent.

Camarades, si tout le peuple faisait comme nous...

On ne revendiquera rien, on ne demandera rien.
On prendra, on occupera.

À bas l’État.

Quand l’assemblée nationale devient un théâtre bourgeois, tous les théâtres bourgeois doivent devenir des assemblées nationales.
[À l’entrée de l’Odéon.]

Plebicit : qu’on dise oui qu’on dise non il fait de nous des cons.

Il est douloureux de subir les chefs, il est encore plus bête de les choisir.

Ne changeons pas d’employeurs, changeons l’emploi de la vie.

Ne me libère pas, je m’en charge.

Je ne suis au service de personne
(pas même du peuple et encore moins de ses dirigeants) ;
le peuple se servira tout seul.

Abolition de la société de classes.

La Nature n’a fait ni serviteurs ni maîtres,
je ne veux donner ni recevoir d’ordres.

Un bon maître, nous en aurons un dès que chacun sera le sien.

« Dans la révolution, il y a deux sortes de gens :
ceux qui la font, et ceux qui en profitent. »
(Napoléon)

Attention : les arrivistes et les ambitieux peuvent se travestir
en prenant un masque « socialard ».

Ne nous laissons pas bouffer par les politicards et
leur démagogie boueuse. Ne comptons que sur nous mêmes.
Le socialisme sans la liberté, c’est la caserne.

Tout pouvoir abuse. Le pouvoir absolu abuse absolument.

Nous voulons les structures au service de l’homme
et non pas l’homme au service des structures.

La révolution n’est pas seulement celle des comités
mais avant tout la vôtre.

La politique se passe dans la rue.

La barricade ferme la rue mais ouvre la voie.

Notre espoir ne peut venir que des sans-espoir.

[ou L'espoir nous est donné par les sans-espoir.]

Est prolétaire celui qui n’a aucun pouvoir sur l’emploi de sa vie
et qui le sait.

Ne travaillez jamais.

Les gens qui travaillent s’ennuient quand ils ne travaillent pas. Les gens qui ne travaillent pas ne s’ennuient jamais.

Travailleurs de tous les pays, amusez-vous !

[Workers of all countries, enjoy!]

Depuis 1936, je me suis battu pour des revendications de salaire;
mon père, avant moi, s’est battu pour des revendications de salaire.
J’ai la T.V., un refrigérateur, une Volkswagen.
Au total, je n’ai jamais cessé d’avoir une vie de con.
Ne négociez pas avec les patrons. Abolissez-les.

Le patron a besoin de toi, tu n’as pas besoin de lui.

C’est en arrêtant nos machines dans l’unité que
nous démontrons leur faiblesse.

Occupation des usines.

Tout le pouvoir aux conseils ouvriers (un enragé).

Tout le pouvoir aux conseils enragés (un ouvrier).

Travailleur : tu as 25 ans mais ton syndicat est de l’autre siècle.

Les syndicats sont des bordels.

Camarades, lynchons Séguy !

Veuillez laisser le Parti communiste aussi nette en en sortant
que vous voudriez le trouver en y entrant.

[Please leave the Communist Party as clean on leaving it
as you would like to find it on entering.]

Staliniens, vos fils sonts avec nous !

L’homme n’est ni le bon sauvage de Rousseau,
ni le pervers de l’église et de La Rochefoucauld.
Il est violent quand on l’opprime, il est doux quand il est libre.

« Le combat est père de toute chose. »
(Héraclite)

Si besoin était de recourir à la force, ne restez pas au milieu.

Soyons cruels.

L’humanité ne sera heureuse que le jour où le dernier capitaliste
aura été pendu avec les tripes du dernier bureaucrate.

Quand le dernier des sociologues aura été pendu avec les tripes du dernier bureaucrate, aurons-nous encore des « problèmes » ?

La passion de la destruction est une joie créatrice.
(Bakounine)

Un seul week-end non révolutionnaire est infiniment
plus sanglant qu’un mois de révolution permanente.

Les larmes des Philistins sont le nectar des dieux.

Cela nous concerne tous.

[ou Cela te concerne aussi./This concerns everyone.]

Nous sommes tous des juifs allemands.

Nous refusons d’être H.L.M.isés, diplomés, recensés, endoctrinés, sarcellisés, sermonnés, matraqués, télémanipulés, gazés, fichés.

Nous sommes tous des « indésirables ».

Nous devons rester « inadaptés ».

[We must remain "unadapted."]

La forêt précède l’homme, le désert le suit.

Sous les pavés, la plage.

Le béton éduque l’indifférence.

[ou le bâton, d’après quelques sources]

Ici, bientôt, de charmantes ruines.

Belle, peut-être pas, mais ô combien charmant. La vie contre la survie.

« Je me propose d’agiter et d’inquiéter les gens.
Je ne vends pas le pain mais la levure. »
(Unamuno)

Le conservatisme est synonyme de pourriture et de laideur.

Vous êtes creux.

Vous finirez tous par crever du confort.

Cache-toi, objet !

Non à la révolution en cravate.

Une révolution qui demande que l’on se sacrifie pour elle
est une révolution à la papa.

La révolution cesse dès l’instant qu’il faut se sacrifier pour elle.

La perspective de jouir demain ne me consolera
jamais de l’ennui d’aujourd’hui.

Quand les gens s’aperçoivent qu’ils s’ennuient, ils cessent de s’ennuyer.

Le bonheur est une idée neuve.

Vivre sans temps mort.

Ceux qui parlent de révolution et de lutte des classes sans se référer
à la réalité quotidienne parlent avec un cadavre dans la bouche.

La culture est l’inversion de la vie.

La poésie est dans la rue.

La plus belle sculpture, c’est le pavé qu’on jette sur la gueule des flics.

L’art est mort, ne consommez pas son cadavre.

L’art est mort, libérons notre vie quotidienne.

L’art est mort. Godard n’y pourra rien.

Godard : le plus con des Suisses pro-chinois !

Vibration permanente et culturelle.

Nous voulons une musique sauvage et éphémère.
Nous proposons une régénération fondamentale :
grève de concerts
des meetings sonores : séances d’investigation collectives
suppression du droit d’auteur,
les structures sonores appartiennent à chacun.

L’anarchie, c’est je.

Révolution, je t’aime.

À bas le sommaire, vive l’éphémère.
—Jeunesse Marxiste Pessimiste.

Ne consommons pas Marx.

Je suis marxiste tendance Groucho.

Je prends mes désirs pour la réalité
car je crois en la réalité de mes désirs.

Désirer la réalité, c’est bien ! Réaliser ses désirs, c’est mieux !

Prenez vos désirs pour des réalités.

Je décrète l’état de bonheur permanent.

Soyez réalistes, demandez l’impossible.

L’imagination au pouvoir.

Manquer d’imagination, c’est ne pas imaginer le manque.

Imagination n’est pas don mais par excellence objet de conquête.
(Breton)

L’action ne doit pas être une réaction mais une création.

L’action permet de surmonter les divisions et de trouver des solutions.

Exagérer, c’est commencer d’inventer.

L’ennemi du mouvement, c’est le scepticisme. Tout ce qui a été
réalisé vient du dynamisme qui découle de la spontanéité.

Ici, on spontane.

« Il faut porter en soi un chaos
pour mettre au monde une étoile dansante. »
(Nietzsche)

Il faut systématiquement explorer le hasard.

L’alcool tue. Prenez du L.S.D.

Déboutonnez votre cerveau aussi souvent que votre braguette.

« Toute vue des choses qui n’est pas étrange est fausse. »
(Valéry)

La vie est ailleurs.

Oubliez tout ce que vous avez appris. Commencez par rêver.

Formons des comités de rêves.

Ôsons ! Ce mot renferme toute la politique de cette heure.
(Saint-Just)

Debout les damnés de l’Université.

Les étudiants sont cons.

L’aptitude de l’étudiant à faire un militant
de tout acabit en dit long sur son impuissance.
—Les filles enragées.

Professeurs, vous nous faites vieillir.

Fin de l’Université.

Violez votre Alma Mater.

Et si on brûlait la Sorbonne ?

Professeurs vous êtes aussi vieux que votre culture,
votre modernisme n’est que la modernisation de la police.

Nous refusons le rôle qu’on nous assigne :
nous ne serons pas des chiens policiers.

[We refuse the role assigned to us: we will not be trained as police dogs.]

Nous ne voulons pas être les chiens de garde
ni les serviteurs du capitalisme.

[We don’t want to be the watchdogs or servants of capitalism.]

Examens = servilité, promotion sociale, société hiérarchisée.

Quand on vous examine, répondez avec des questions.

[When examined, answer with questions.]

L’insolence est la nouvelle arme révolutionnaire.

Tout enseignant est enseigné. Tout enseigné est enseignant.

La vieille taupe de l’histoire semble bel et bien ronger la Sorbonne. Télégramme de Marx, 13 mai 1968.

Une pensée qui stagne est une pensée qui pourrit.

Pour mettre en question la société où l’on « vit »,
il faut d’abord être capable de se mettre en question soi-même.

Prenons la révolution au sérieux mais ne nous prenons pas au sérieux.

Les murs ont des oreilles. Vos oreilles ont des murs.

Construire une révolution c’est aussi briser
toutes les chaînes intérieures.

Un flic dort en chacun de nous, il faut le tuer.

Chassez le flic de votre tête.

La religion est l’escroquerie suprême.

[Religion is the ultimate con.]

Ni dieu ni maître.

Même si Dieu existait il faudrait le supprimer.

Savez-vous qu’il existait encore des chrétiens ?

À bas le crapaud de Nazareth.

Comment penser librement à l’ombre d’une chapelle ?

Nous voulons un endroit pour pisser, non pour prier.

[We want a place to piss, not a place to pray.]

Dieu, je vous soupçonne d’être un intellectuel de gauche.

La bourgeoisie n’a pas d’autre plaisir que celui de les dégrader tous.

Les motions tuent l’émotion.

Luttons contre la fixation affective qui paralyse nos potentialités. —Comité des femmes en voie de libération.

Les réserves imposées au plaisir excite
le plaisir de vivre sans réserve.

Plus je fais l’amour, plus j’ai envie de faire la révolution.
Plus je fais la révolution, plus j’ai envie de faire l’amour.

SEXE : C’est bien, a dit Mao, mais pas trop souvent.

Camarades, 5 heures de sommeil sur 24 sont indispensables :
nous comptons sur vous pour la révolution.

Embrace ton amour sans lâcher ton fusil.

Je t’aime !!! Oh! dites-le avec des pavés !!!

Je jouis dans les pavés.

Jouir sans entraves.

Camarades, l’amour se fait aussi à Sc. Po, pas seulement aux champs.

Jeunes femmes rouges, toujours plus belles.

Zelda, je t’aime ! À bas le travail !

Les jeunes font l’amour, les vieux font des gestes obscènes.

Make love, not war.

Qui parle de l’amour détruit l’amour.

À bas la société de consommation.

Consommez plus, vous vivrez moins.

La marchandise est l’opium du peuple.

La marchandise, on la brûlera.

On achète ton bonheur. Vole-le.

Voir Nanterre et vivre.
Allez mourir à Naples avec le Club Méditerranée.

Etes-vous des consommateurs ou bien des participants ?

Être libre en 1968, c’est participer.

Je participe.
Tu participes.
Il participe.
Nous participons.
Vous participez.
Ils profitent.

L’âge d’or était l’âge où l’or ne régnait pas.

« C’est parce que la propriété existe
qu’il y a des guerres, des émeutes et des injustices. »
(Saint Augustin)

Si tu veux être heureux pends ton propriétaire.

Millionnaires de tous les pays, unissez-vous, le vent tourne.

L’économie est blessée, qu’elle crève !

Que c’est triste d’aimer le fric.

Vous aussi vous pouvez voler.

« Amnistie : acte par lequel les souverains pardonnent
le plus souvent les injustices qu’ils ont commises. »
(Ambrose Bierce)

[La définition dans le Devil’s Dictionary de Bierce
est plus précisément : « magnanimité de l’État envers les
contrevenants qu’il serait trop coûteux de punir ».]

Abolition de l’aliénation.

L’obéissance commence par la conscience
et la conscience par la désobéissance.

Désobéir d’abord : alors écris sur les murs (Loi du 10 Mai 1968.)

J’aime pas écrire sur les murs.

Écrivez partout !

Avant donc que d’écrire, apprenez à penser.

Je ne sais pas qu’écrire mais j’aimerais en dire
de belles choses et je ne sais pas.

On n’a... pas le temps d’écrire !!!

J’ai quelque chose à dire mais je ne sais pas quoi.

La liberté, c’est le droit au silence.

Vive la communication, à bas la télécommunication.

[Long live communication, down with telecommunication.]

Toi, mon camarade, toi que j’ignorais derrière les turbulences,
toi jugulé, apeuré, asphyxié, viens, parle à nous.

Parlez à vos voisins.

Hurle.

Créez.

Regardez en face !!!

Participons au balayage. Il n’y a pas de bonnes ici.

La révolution, c’est une INITIATIVE.

Le discours est contre-révolutionnaire.

Bannissons les applaudissements, le spectacle est partout.

Ne nous attardons pas au spectacle de la contestation
mais passons à la contestation du spectacle.

À bas la société spectaculaire-marchande.

À bas les journalistes et ceux qui veulent les ménager.

Seule la vérité est révolutionnaire.

Il est interdit d’interdire.

La liberté est le crime qui contient tous les crimes.
C’est notre arme absolu.

La liberté d’autrui étend la mienne à l’infini.

Pas de liberté aux ennemis de la liberté.

Libérez nos camarades.

Ouvrons les portes des asiles, des prisons, et autres Facultés.

Ouvrez les fenêtres de votre coeur.

Les frontières on s’en fout.

On ne peut plus dormir tranquillement dès qu’on
s’est subitement ouvert les yeux.

[You can no longer sleep quietly once you’ve suddenly opened your eyes.]

L’avenir ne contiendra que ce que nous y mettrons maintenant.

 


Ces graffiti sont tirés principalement de L’imagination au pouvoir de Walter Lewino (Losfeld, 1968), Les murs ont la parole de Julien Besançon (Tchou, 1968), Paris ’68 de Marc Rohan (Impact, 1968), Enragés et situationnistes dans le mouvement des occupations de René Viénet (Gallimard, 1968), Paris: May 1968 de Maurice Brinton (Solidarity, 1968), et Mai 1968 : brûlante nostalgie de Gérard Lambert (Pied de nez, 1988). Il s’agit des versions originales de la sélection que j’ai traduite en anglais. Dans quelques cas où je n’ai trouvé les graffiti que déjà traduits dans des publications anglais (notamment celle de Brinton) sans réussir à retrouver la version originale, j’ai dû retraduire la version anglaise en français (suivie de la version anglaise), en espérant que quelqu’un me communiquera la version originale exacte.

Une collection plus extensive des graffiti de Mai 1968 se trouve sur http://users.skynet.be/ddz/mai68.html.

Anti-copyright.

[Traduction anglaise de ces graffiti]

[Traduction russe de ces graffiti]

[Graffiti du soulèvement anti-CPE]

[Autres textes en français]

 

  


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